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et l’élégant Nevers, Fidès, Selika, autant de noms et de figures assurés de ne point périr.

« Dites-nous, » demandait George Sand au musicien des Huguenots dans la lettre citée plus haut, « dites-nous comment, avec une trentaine de versiculets insignifians, vous savez dessiner de telles individualités et créer des personnages de premier ordre là où l’auteur du libretto n’a mis que des accessoires ? Ce vieux serviteur rude, intolérant, fidèle à l’amitié comme à Dieu, cruel à la guerre, méfiant, inquiet, fanatique de sang-froid, puis sublime de calme et de joie à l’heure du martyre, n’est-ce pas le type luthérien dans toute l’étendue du sens poétique, dans toute l’acception du vrai idéal, du réel artistique, c’est-à-dire de la perfection possible ? Cette grande belle fille brune, courageuse, entreprenante, exaltée, méprisant le soin de son honneur comme celui de sa vie, et passant du fanatisme catholique à la sérénité du martyre protestant, n’est-ce pas aussi une figure généreuse et forte, digne de prendre place à côté de Marcel ! Nevers, ce beau jeune homme en satin blanc qui a, je crois, quatre paroles à dire dans le libretto, vous avez su lui donner une physionomie gracieuse, élégante, chevaleresque, une nature qu’on chérit malgré son impertinence, et qui parle avec une mélancolie adorable des nombreux désespoirs des dames de la cour à propos de son mariage. »

Au-dessous de Valentine et de Marcel, George Sand a placé Raoul, et c’est justice. Elle a pu l’accuser, non sans raison, jusqu’aux deux derniers actes, de « niaise étourderie » et le traiter plaisamment de « hanneton sentimental. » A l’exception de Jean de Leyde, qui les domine tous, les ténors de Meyerbeer ne sont pas à l’abri de tels reproches. Ils montrent parfois de l’inconsistance, et de l’incohérence aussi. Têtes chaudes, et même folles, un Robert, un Vasco de Gama n’arrivent, par momens, qu’à se donner des airs de matamore et de casse-cou. (« Je viens à vous malgré ma haine, » ou bien : « Des chevaliers de ma patrie… ») Mais ils prennent ailleurs de superbes revanches et Robert, au dernier acte, Vasco de Gama dans la scène du Conseil, redeviennent des héros véritables, vivans.

Héros, héroïnes, ils vivent tous, c’est le mot qu’on ne saurait trop répéter. Ils vivent tous, y compris ceux de second plan. Marguerite, la Marguerite des Huguenots, qui ne parle pas toujours comme une reine, chante le plus souvent ainsi, comme une reine