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prendre son parti. Quand il la comparait à son frère le prince Électoral, qu’il avait fait élever sous ses yeux, à sa mode, la différence était criante. Il était impossible au plus défiant de prendre ombrage du prince Charles, pauvre garçon timide et contraint, image du parfait nigaud pour tout autre que son père, qui s’admirait en lui à cause de certaines ressemblances. La duchesse Sophie écrivait à Charles-Louis, avec une pointe d’ironie, quand son neveu n’avait encore que neuf ans : « (Hanovre, ce 6 mai 1660)… Je suis ravie d’apprendre que Charles est si fort dans vos bonnes grâces et que son humeur se conforme tout à fait à la vôtre, et puisqu’il n’aime guère sa mère, j’espère que sa bonne volonté ne courra point de risque d’être corrompue. »

À dix-sept ans, Charles semblait promettre d’avoir hérité de l’avarice paternelle. De la duchesse Sophie, le 23 février 1667 : — « Je suis bien aise que vous sachiez présentement que ce ne sera pas à un fol, mais à un sage, que vous ferez jouir de vos travaux, et que le prince électoral commence à vous ressembler d’humeur… mais je suis fâchée que Liselotte n’ait pas le bonheur de vous plaire autant que lui ; elle m’a toujours paru de fort bon naturel ; j’espère qu’elle ne changera pas. » Le frère et la sœur avaient été dressés avec un soin égal à l’économie. Quand l’Électeur Palatin mit son fils au collège, il obtint un rabais sur le prix de pension, en alléguant que l’enfant était petit mangeur. En envoyant sa fille à Hanovre, il ne lui assigna que 900 florins par an d’argent de poche, malgré les obligations de son rang, afin de l’habituer à rogner sur les pourboires et à inventer des cadeaux bon marché. Apprentissage dont Madame devait toujours se souvenir à l’occasion.

Pour la tournure et les manières, le prince Charles faisait penser à Thomas Diafoirus, et c’était encore à son père qu’il devait cette aubaine. Charles-Louis était instruit pour son temps. Il aimait les livres et en achetait. On le comptait parmi les princes allemands qui prenaient à leurs gages des Français lettrés, comme, jadis, les Romains achetaient des esclaves grecs, pour se donner le luxe d’entendre des conversations intellectuelles. Il n’avait pas compris, cependant, que l’éducation propre à former un magister n’est pas ce qu’il faut à un prince, et il avait donné pour maîtres à son fils des savans en us qui en firent un bon latiniste et un théologien passable, mais un Thomas Diafoirus pour la mine.