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cette permission leur fut refusée et ils restèrent en esclavage. Exemple admirable de fidélité à leur croyance !

Voyons, maintenant, comment s’effectuait le rachat des captifs. Dès que le navire, portant les agens de la rédemption, était signalé en rade, le dey d’Alger faisait tirer le canon en signe de réjouissance et, pendant vingt-quatre heures, on retirait aux esclaves du beylik l’anneau de fer qui entravait leur jambe. Une fois le navire amarré au quai, on lui enlevait le gouvernail et les voiles, de peur qu’il prît le large, avec des fugitifs qui n’eussent pas payé la rançon. Quand les libérateurs étaient des religieux, ils payaient une « lune, » c’est-à-dire un mensuel d’une piastre à tous les esclaves de leur nation, pendant tout le temps que duraient les pourparlers. Le dey faisait d’abord racheter cinq de ses esclaves qu’il choisissait parmi les plus inutiles, — c’étaient en général les invalides, — et qu’il vendait fort cher, Pour les esclaves du beylik, ils étaient souvent échangés contre des Turcs, qu’on ramenait des galères de Toulon. Quant aux esclaves des particuliers, il fallait marchander, et souvent très longtemps, car il n’y avait point de tarif.

Le prix dépendait de trois causes : la loi du rapport entre l’offre et la demande, la qualité et les aptitudes des captifs et les circonstances de la capture. On commençait par échanger les Turcs contre autant de Français, la milice d’Alger tenant beaucoup à avoir les siens, lorsqu’on en avait, c’était une monnaie d’or, qui permettait de racheter des patrons de barque ou des capitaines français. Les captifs maures avaient moins de valeur, soit qu’ils fussent moins vigoureux, soit plutôt parce qu’ils n’étaient pas de pur sang arabe ; on comptait qu’un Turc valait, deux Maures. Ensuite, on distinguait entre les esclaves du beylik, c’est-à-dire de l’État, et ceux des particuliers. Exemple : « Les Français, pris depuis la guerre, est-il dit dans les instructions données au capitaine Marcel, ayant été rachetés par le Divan à 75 piastres[1], on ne peut se dispenser de nous les rendre au même prix. » Le ministre ajoutait : « Pour ce qui est des esclaves pris au Levant, comme personne n’en aura voulu acheter, de peur d’être obligé de les rendre à cause de la paix, ils seront au Divan pour un dixième ou aux amateurs. On tâchera de les racheter au meilleur marché possible. » En effet, Marcel réussit à les

  1. La piastre sévillane valait de 3 liv. 11 sols à 4 livres.