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la correspondance de saint François de Sales est d’abord un document d’histoire de premier ordre sur les affaires ecclésiastiques et politiques à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe. Telle lettre, celle adressée à Mgr Frémyot, archevêque de Bourges, est d’une importance capitale pour l’histoire de la prédication en France ; il se pourrait que l’évêque de Genève eût agi sur la prédication de son temps par ses conseils autant que par ses exemples, et ses conseils constituent un traité de la prédication à peu près excellent de tous points. Plus encore que sur les événemens du temps, ces lettres nous renseignent, de la façon la plus précise et parfois la plus intime, sur la personne même de celui qui les a écrites. Car François de Sales ne craint pas de parler de lui-même, et de se citer en exemple. Or, il n’est pas indifférent pour nous de savoir comment celui qui a composé tant de lettres de consolation, se comportait en présence des mêmes épreuves dont il s’efforçait d’atténuer pour ses correspondantes ou d’interpréter la rudesse ; et il nous plaît de savoir qu’à la mort de sa jeune sœur ou de sa mère, il n’a pas retenu ses larmes et n’a pas voulu s’empêcher de souffrir. Il reste bien entendu que l’intérêt essentiel des lettres de saint François est dans ses lettres de direction ; mais aussi voit-on combien l’intelligence en sera facilitée par les ressources qu’apporte la présente édition. D’abord, c’est dans l’ensemble de la correspondance générale qu’il faut les lire, et il est très important de noter qu’elles ont été écrites non pas du fond d’un monastère et dans le loisir de la vie contemplative, mais dans le tracas des affaires, par un homme « opprimé et accablé » de l’administration de son diocèse. Il ne l’est guère moins de constater que telle lettre adressée à une pénitente d’élite, à une âme de choix, a été tracée sur le papier « en courant » par un pasteur occupé d’abord d’évangéliser les pauvres gens et de répandre dans le moindre hameau l’action de sa parole. Et quand on lit que l’évêque vient de battre les champs de parcourir les « montagnes effroyables » et d’entendre le « tintamarre » des grands orages, on se rend compte que les perpétuelles comparaisons tirées de la nature dont il émaille sa prose, ne sont pas chez lui uniquement un artifice de style. Mais surtout, en replaçant ces lettres à leur date, on y peut suivre le développement de la pensée de saint François. On y saisit ses idées dans leur fraîcheur première. On voit le directeur de conscience naître en lui, puis s’enhardir, prendre conscience de son rôle, en mesurer l’efficacité. Ses Traités les plus célèbres ne seront qu’un prolongement de sa correspondance ; et cela suffirait à établir l’intérêt qui s’attache à ces lettres.