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maîtresse du XVIIe siècle, le bon sens, l’esprit de mesure, la raison.

La raison nous indique le but à atteindre, et le chemin à suivre ; il reste que c’est à la volonté de transformer l’idée en acte. C’est à elle aussi bien que François de Sales assigne avec insistance le premier rang dans la vie mystique. Pour arriver à la perfection, la condition essentielle, sinon suffisante, c’est de le vouloir. Inversement, le principal obstacle que nous rencontrons entre nous et la volonté divine est encore notre volonté qui veut régner à quelque prix que ce soit. C’est donc qu’il y a une bonne et une mauvaise volonté, et que notre volonté peut se porter dans un sens ou dans l’autre, suivant qu’elle est sollicitée par l’amour. Tel est le dernier mot de la direction de saint François : elle aboutit à une sorte d’action commune de la volonté et de l’amour. — Nécessité de se connaître soi-même, et de développer en soi par cette connaissance les facultés de raison, de volonté et d’amour, c’est aussi bien où reviennent sans cesse les moralistes du XVIIe siècle.

On peut mesurer maintenant les conséquences du succès qu’obtint aussitôt l’œuvre de direction de saint François. Le premier résultat en fut de provoquer tout un mouvement de littérature spirituelle. Bossuet déclarait tenir de l’évêque de Genève les règles de la direction des âmes. Fénelon, en modifiant et altérant ses enseignemens, continue saint François ; et Mme de Maintenon également. Il faudrait entrer ici dans le détail : on ferait plus d’un rapprochement instructif. Pour notre part, nous avons toujours pensé qu’une bonne histoire de la littérature spirituelle est un livre qui nous manque. En suivant le genre dans son développement et ses transformations à travers le XVIIe siècle, on éclairerait sur bien des points la littérature profane.

Car c’est à celle-ci que nous voulons en venir, et ce qui nous importe, c’est de montrer combien profonde est l’empreinte qu’elle a reçue. Les Essais venaient de paraître et Montaigne avait donné le signal de revenir à l’étude de l’homme intérieur. Encore fallait-il que l’impulsion donnée par Montaigne fût renforcée et complétée ; elle l’a été par la littérature de direction, sur deux points, qui, à vrai dire, sont essentiels. Car on a beaucoup discuté sur le christianisme de Montaigne, et ce n’est pas ici le lieu de revenir à la question, surtout au lendemain de l’article de M. Brunetière que tous nos lecteurs ont présenta l’esprit. Il me suffit qu’on ait pu différer d’avis sur la qualité ou sur le degré du christianisme de Montaigne. C’est donc, et on le sait de reste, que le grand courant chrétien qui va pénétrer la littérature ne vient pas des Essais : il vient d’ailleurs et justement de