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d’une platitude eurythmique. On finit par être halluciné à force de monotonie. Les bouquets de ravenalas dans les creux ne ressemblent plus à de la végétation, mais à des groupes de sauvages, de Sioux, se cachant dans les replis de terrain et qui soudain s’agitent. On comprend que, y guettant sans cesse les pillards de troupeaux, les villageois y soient devenus une race méfiante et énervée.

Des massifs d’arbres isolés parsèment les approches de la grande forêt : les indigènes les ont conservés parce que tels d’entre eux sont peuplés d’esprits ; dans d’autres, ils déposent les cercueils, tantôt enfouis quand les défunts ne redoutaient ni l’eau ni la noirceur, tantôt posés sur la terre quand ils craignaient seulement les ténèbres, tantôt enfin perchés sur des supports quand ils avaient horreur et de l’obscurité et de l’humidité.


IV. — LA FORÊT ET LES TANALAS

A mi-côte du littoral à l’arête médiane de l’île, elle s’étend longitudinalement du Nord au Sud sur une bande de cent cinquante kilomètres en moyenne. La forêt malgache n’est point grandiose, écrasante et étouffante comme la grande sylve africaine. Elle est puissante par l’encombrement des choses plutôt que par leur épaisseur : presque point de vieilles futaies ; une multiplicité d’arbres le plus souvent minces mais très hauts, feuillus, noueux, à ramifications parasitaires, même enchevêtrés dans un réseau de mousses, indice d’une croissance lente et laborieuse ; de larges formes, enfantines et tendres, de fougères arborescentes ; une fumée bleue qui enveloppe toujours l’ensemble, fumée de bois, fumée d’évaporation qui dentelle les masses et les lignes en interposant l’image d’un minuscule et immense travail d’araignées, — concourent à l’impression de la mignardise dans l’opulence. La forêt malgache est tissée de fils : fils débranches, traînes de feuilles, cordes de lianes, franges de bambou, passementerie de lichens, guipures et entre-deux de mousse reliant les troncs, grands câbles tombant comme des fils à plomb des sommets d’arbres et mesurant la profondeur des bois en donnant la sensation de gouffres.

Ce qui caractérise la forêt malgache, c’est qu’elle est une forêt accrochée sur un rempart immense, — que ce soit au flanc