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nous n’avions autant senti le besoin du secours divin. Après la messe, nous rentrons à la maison pour le dernier adieu. Je ne t’en dis rien… À la gare, une bousculade. Tous à la fois les soldats se précipitaient dans les wagons, gais, criant, chantant, fous. Très graves, les officiers montent ensuite. Sans rien dire, mon père nous serra dans ses bras. Le train s’éloigne, se perd dans le lointain et notre force se perd aussi. Sur le quai désert, nous étions seules, mornes, regardant l’horizon, ce grand vide qui l’avait dérobé. Au revoir, lorsque j’aurai l’adresse de notre père, je te l’enverrai afin que tu lui écrives.


Les jours qui suivirent, nous les avons passés, ma mère et moi, dans une morne tristesse, mais qui n’était pas encore l’angoisse. Nous allions au bord de la mer dont l’immensité s’harmonisait avec nos pensées. Le temps était beau, le ciel sans nuages et dans cet aspect tranquille des choses, je me plaisais à voir de favorables présages. Nous restions là, des journées presque entières, dans un grand silence. Que nous serions-nous dit ? Il semblait néanmoins que la paix extérieure pénétrait notre cœur lui-même et, avec une sorte d’espérance, de l’infini de l’espace nous allions à l’infini de Dieu.

Une semaine après le départ de mon père nous quittons le Havre pour attendre dans notre famille et suivre auprès d’amis très sûrs la marche des événemens. Ainsi qu’on le sait, ces événemens se succédèrent avec promptitude et si cette guerre éveilla les préoccupations de quelques-uns, elle était populaire et l’intérêt général fut très vif.

Dès le début, nous apprîmes que mon frère aîné s’embarquait pour l’Italie. Aujourd’hui que le temps a réalisé le malheur qui devait le saisir et nous frapper, il me semble que nous n’avons compris alors qu’une seule chose : son avancement, et nous étions satisfaites de le voir rejoindre son père à qui ma mère écrivit aussitôt : « Tu auras quelqu’un à toi. »


Jean Le Brieux à Mme Le Brieux.

Oran, 4 mai 1859.

Très chère mère,

Mon régiment est désigné pour prendre part à la guerre. Nous en sommes fiers, non seulement en vue de l’avancement, mais par les divers sentimens qui nous animent.