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que j’avais perdu tout espoir. Que Dieu soit loué ! Je l’ai remercié avec une ferveur que tu comprendras.

Je ne vous avais pas tout dit afin de vous leurrer encore, si c’était possible. Je te confesse aujourd’hui que je ne travaillais plus. Je ne pouvais pas, pensant toujours aux miens, à leurs souffrances ; je ne pleurais pas, explique-moi comment aujourd’hui, dans ce grand bonheur retrouvé, j’inonde mon papier de mes larmes. Malgré cela, tu liras bien, n’est-ce pas ?

Je t’embrasse dans les transports d’un cœur tout joyeux.


Depuis le commencement de la campagne, mon frère traversait une phase d’excitation extrême. L’exaltation de patriotisme, l’épreuve filiale et fraternelle qu’il venait de subir, sa solitude, le surmenage des examens, c’était trop pour son âge. La nature qui revendique toujours ses droits le rendait aujourd’hui à ses forces ordinaires. Cet état me préoccupait et je le calmai en lui écrivant chaque jour. N’avais-je pas à le tenir au courant de ce qui se passait loin de nous ?

A M. Robert Le Brieux, au « Borda. »


9 juillet 1859.

Mon ami,

Le voyage de notre mère s’est achevé non sans traverses, mais son énergie et son calme les ont aplanies. Voici ses propres expressions : « La pensée de revoir mon cher et bien-aimé Jean en même temps que ton père m’a donné une force qui peut-être m’eût manqué sans cela. Était-il sur la liste des blessés, l’a-t-on cru disparu ? comment expliquer ? Enfin, remercions Dieu de la consolation qu’il nous accorde dans notre malheur ; n’est-ce pas trop déjà que de voir votre père atteint aussi cruellement ? »

Je vais maintenant te résumer la substance de cette longue lettre. Arrivée à Milan vers minuit, s’orientant avec peine dans cette ville inconnue, sans guide, sans voiture, se trompant, ma mère erra ainsi, et atteignit seulement à l’aube l’hospitalière demeure C… derrière le Dôme. Elle prit seulement le temps de s’y reposer, et malgré sa lassitude, ces excellens amis n’osèrent insister pour la garder jusqu’au lendemain.

Enfin elle put se faire conduire à Brescia et ne trouva qu’une