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l’histoire littéraire, au contraire, est agrandi et comme prolongé dans un archaïque lointain ; et nous remontons, à la suite de M. Kurth, jusqu’à l’époque où des poètes francs, déambulant à travers la Neustrie, s’en allaient réveiller et féconder l’esprit gallo-romain[1] : de cette fécondation, l’épopée carolingienne serait née[2]. Ce seraient les chantres de Childéric et de Clovis, de Clotaire et de Dagobert, qui auraient familiarisé les Gallo-Romains avec la forme de l’épopée ; et beaucoup de motifs épiques, beaucoup de moules poétiques, dont ces aèdes avaient usé, seraient passés, directement, dans le bagage des jongleurs qui célébrèrent Charlemagne à la barbe fleurie.

Il serait donc aussi légitime de discerner dans notre littérature primitive l’élément germanique qu’il serait arbitraire de vouloir ressaisir, dans les populations de la France mérovingienne, une race romaine et une race germaine réciproquement hostiles ; et c’est précisément parce que le germanisme ne garda, dans l’intime fusion des races, aucune personnalité politique, qu’il eut la bonne fortune, à la faveur même de cette fusion, d’exercer une influence littéraire durable. M. Godefroid Kurth n’évince la thèse « germaniste » du domaine de l’histoire politique que pour la réintégrer dans le domaine de l’histoire littéraire ; et si d’autres chercheurs s’engagent dans les voies qu’il dessine, on parviendra peut-être à trouver, entre la littérature de l’ancienne France et celle de l’ancienne Germanie, des rapports autrefois insoupçonnés.

Gaston Paris déclarait, dès 1865, que l’épopée carolingienne n’est pas « une de ces plantes étrangères qui naissent en une nuit sur une place vide ; qu’elle ne fut qu’un anneau dans une chaîne ; qu’un moment dans une série, et qu’elle fut déterminée et préparée par des végétations puissantes, enracinées

  1. Ce qu’était l’esprit gallo-romain avant cette fécondation, il le faut désormais étudier dans le volume intitulé : Les Derniers écrivains profanes (Paris, Leroux, 1906), par lequel M. René Pichon, entreprenant une œuvre neuve et de vraie portée, inaugure une série d’études sur l’histoire de la littérature latine dans les Gaules. « La littérature gallo-latine, écrit M. Pichon, est donc bien l’origine réelle, quoique lointaine, de la nôtre, et ce serait à peine user d’une formule paradoxale que de l’intituler la littérature française avant les Francs. » Et tout son volume est plein d’ingénieux aperçus par lesquels il s’essaie à montrer dans la littérature gallo-latine « une esquisse anticipée de notre littérature à nous, telle qu’elle a été dans sa période la plus classique et la plus véritablement nationale. »
  2. Cf. Gaston Paris, Esquisse historique de la littérature française au moyen âge, p. 35-36 (Paris, Colin, 1907).