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importante est que, pour son malheur, Fontenelle a été portraituré par un écrivain de génie, qui ne l’aimait pas. Il se peut que l’abbé Trublet ait composé tout un livre à sa gloire ; les compilations de l’abbé Trublet ne font pas autorité ; mais nous savons par cœur maints endroits des Caractères de La Bruyère. Aussi, chaque fois que nous pensons à Fontenelle, nous est-il impossible de ne pas nous le représenter sous les traits dont le moraliste a peint Cydias. Nous le voyons, nous l’entendons qui « après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnemens sophistiqués. » Quel n’est pas le pouvoir d’un mot heureux ? Certaines formules se gravent une fois pour toutes dans la mémoire ; et le moyen d’oublier celle où l’auteur des Caractères résume son opinion sur l’auteur d’Aspar : « un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n’aperçoit rien de grand que l’opinion qu’il a de lui-même ! » Au reste nous n’avons guère d’occasion de vérifier par nous-mêmes le bien fondé de cet arrêt. Car s’il a été souvent et jusque dans les ouvrages qui ont fondé sa réputation le détestable précieux qu’a justement raillé La Bruyère, d’autre part et jusque dans ses écrits les plus dignes d’être loués, Fontenelle n’a jamais été un grand écrivain. On ne le lit plus. Son style vaut par la clarté et par l’agrément : il n’a pas une valeur d’art et n’ajoute rien à l’histoire de la prose française. Les sujets qu’il a traités sont de ceux qui se renouvellent sans cesse par le progrès continu des connaissances et dont on n’est pas tenté d’aller lui demander un exposé qui n’est plus « au point : » il n’y a pas d’apparence qu’on aille s’informer de la critique religieuse dans l’Histoire des oracles, ou des systèmes de Leibniz et de Newton dans les Éloges. Il y a mieux : les idées que Fontenelle a lancées dans la circulation, du geste nonchalant et discret qui lui était familier, ont été reprises par d’autres qui les ont mises en valeur et en scène et en ont fait leur propriété. Fontenelle a eu le tort de ces inventeurs dont on célèbre les découvertes, mais sous un autre nom que le leur. Tout cela explique que la réputation de Fontenelle ait subi une assez longue éclipse. Et comme il importe de rendre à chacun ce qui lui appartient, ce n’est que justice de nous montrer, éparses à travers les meilleures de ses pages et déjà conscientes d’elles-mêmes, des idées qui allaient faire au XVIIIe siècle une si éclatante fortune et sous l’empire desquelles nous continuons de vivre.

Toutefois, si l’analyse de la pensée de Fontenelle prise en elle