Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La France en ses profondeurs restait catholique. Là était le fait, l’indéniable fait. Au courant du siècle, les classes supérieures s’étaient détachées ; la masse populaire et surtout rurale, formant en somme la grosse majorité de la nation, avait conservé le catholicisme dans l’âme. Pendant la Révolution, cette masse brutalement violentée dans sa foi, dans ses observances, dans ses usages, s’y était plus invinciblement rattachée. A présent, cette persévérance purement religieuse du plus grand nombre se distinguait nettement des passions politiques de quelques minorités. Les royalistes n’étaient qu’une classe ; les catholiques étaient un peuple. Bonaparte le savait ; il avait vu pendant huit ans ce peuple réclamer ses églises, réclamer ses prêtres ; il l’avait vu replanter ses croix abattues, défendre ses calvaires, s’opposer aux frénésies terroristes et aux violences systématiques du Directoire, aux furieux briseurs d’images et aux iconoclastes méthodiques ; il l’avait vu sanctifier le dimanche malgré la loi et protester contre la tyrannie du Décadi par plébiscite hebdomadaire. Au sujet de cette opiniâtreté populaire, les renseignemens, les documens s’amoncelaient. Le langage des préfets et des conseils généraux confirmait aujourd’hui celui des agens du Directoire.

D’autres témoignages s’ajoutaient. Parmi les conseillers d’Etat envoyés en mission pour inspecter chacun un groupe de départemens, il se trouve des philosophes naguère militans et d’éminens sectaires. L’un d’eux, Fourcroy, tire d’une partie de son enquête cette conclusion : « C’est une erreur de quelques philosophes modernes, dans laquelle j’ai été moi-même entraîné, de croire à la possibilité d’une instruction assez répandue pour détruire les préjugés religieux... La guerre de Vendée a donné aux gouvernemens modernes une leçon que les prétentions de la philosophie voudraient en vain rendre nulle[1]. » Cet aveu exprime l’état d’esprit d’un certain nombre de théoriciens vaincus par le fait, nullement convertis, mais désabusés. Certes, aucun d’eux n’admet la reconstitution pure et simple du catholicisme romain. Désespérant d’extirper le sentiment religieux, ils songent à l’orienter selon leurs vœux. Fourcroy, comme beaucoup d’autres, regrette qu’on n’ait pu détourner la France vers le protestantisme ; il voudrait au moins obliger les prêtres à se faire précepteurs

  1. Rocquain, État de la France après le 18 brumaire, p. 152.