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La soumission des prêtres, si sincère qu’elle fût, restait nécessairement incomplète.

L’Ouest, auquel il faut toujours revenir à raison du rôle considérable qu’il joue dans les préliminaires de la pacification, offrait de cette vérité un frappant exemple. Nulle part le culte n’était plus libre et le clergé mieux intentionné. Les prêtres sortis de leurs caches ou revenus d’exil eussent pu prolonger la guerre civile ; ils avaient coopéré à sa fin. De ce fait, les préfets, les conseillers d’Etat en tournée leur rendent un éclatant témoignage : « Les préfets, écrit Fourcroy, reconnaissent que leur bonne conduite a produit des avantages inappréciables ; ils pensent qu’on peut répondre des campagnes aussi longtemps qu’on sera sûr des prêtres[1]. » En sera-t-on toujours sûr ? Voilà ce qu’aucun préfet ne prend sur soi de garantir. Ces prêtres pacifiques refusent de signer la promesse et de s’engager au gouvernement. En le faisant, ils craindraient à la fois de s’entacher aux yeux des populations et d’encourir la censure de leurs supérieurs.

En certains endroits, des défenses épiscopales leur interdisent de rentrer dans les églises et d’officier au grand jour. Dans le diocèse de Cornouailles, le culte n’a pas repris parce que l’évêque du dehors s’y est opposé. Dans le diocèse du Mans, le correspondant du vicaire général émigré lui écrit : « Vous savez que je ne me suis prêté qu’avec répugnance à l’ouverture des églises. Mais, les voyant ouvertes en Anjou et en Bretagne, il n’y avait pas moyen de s’y opposer[2]. » La masse des prêtres résisterait-elle à un appel contre-révolutionnaire lancé de Londres par l’intermédiaire des prélats émigrés ? Le préfet des Côtes-du-Nord croit qu’en cas de nouvelle tentative insurrectionnelle, « tous les prêtres réfractaires, ceux même du caractère le plus doux, le plus pacifique, stimulés par les lettres pastorales, les mandemens incendiaires des douze évêques qui sont à Londres, pourront en un seul jour produire un embrasement général. » Le préfet d’Ille-et-Vilaine, sans aller aussi loin, décrit les anomalies, les contradictions qui se manifestent dans la conduite des différentes catégories d’insermentés : « Insermentés soumis et insoumis jouissent d’un grand crédit. Ils regrettent toujours le salaire assuré qui les empêchait de rester à la charge des

  1. Rocquain, 124.
  2. Lettre publiée par M. Léon Séché, les Origines du Concordat, II, 209-213.