Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont on avait envoyé mourir les enfans sur tant de champs de bataille, la diminution du territoire de la France, la coalition de l’Europe contre nous : autant de griefs que Lanfrey ressassait dans sa pensée avec un sentiment analogue à celui qu’a exprimé dans les Iambes Auguste Barbier : une haine implacable. De là cette Histoire de Napoléon Ier où il ne faut chercher ni vérité, ni justice, ni impartialité : véritable pamphlet où le polémiste exhale toute sa rancune. Le même homme qui écrivait des pages si violentes était plein de douceur, d’"élégance et de bonne grâce dans l’intimité. Sa vieille amie, la spirituelle Mme Jaubert, sœur de d’Alton-Shée, l’avait surnommé ferocino pour indiquer qu’il n’était féroce qu’à la surface, lorsqu’il jouait un rôle en public.

La presse restait soumise à un régime exceptionnel. Mais dans une circulaire célèbre M. de Persigny, ministre de l’intérieur, recommandait à ses préfets de ne pas abuser du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Lui-même se déclarait disposé à favoriser dans le pays des habitudes de libre discussion. C’était toujours au fond la même manière de procéder, l’octroi d’une certaine liberté dans la mesure où le pouvoir n’en serait pas gêné, une autorisation provisoire donnée d’en haut avec la faculté de la retirer si on en abusait contre lui. La Revue Nationale enregistrait et acceptait le bienfait sans dissimuler à ses lecteurs qu’il n’y avait là que l’apparence de la liberté. Elle ne dissimulait pas non plus que la presse ne pourrait retrouver son ancien éclat, l’éclat qui l’avait illustrée sous des gouvernemens libres, que si le public lui-même s’intéressait aux grandes questions politiques, au lieu de ne chercher dans les journaux, comme on le faisait depuis quelques années, que des anecdotes, des commérages et des scandales. Elle ne se relèverait que si ses lecteurs, las de cet abaissement, exigeaient d’elle autre chose. Deux esprits très différens, Victor Foucher et Taxile Delord, insistaient sur le tort que les journaux se faisaient à eux-mêmes, depuis l’établissement du second Empire, sur la nécessité qui s’imposait désormais à eux de relever le niveau et la valeur morale de leur rédaction.

Si les décrets du 24 novembre 1860 avaient donné à la presse et au public l’illusion de la liberté, le ministre de l’Intérieur se chargea bien vite de dissiper lui-même ce rêve en frappant un des organes les mieux rédigés de l’opposition, le Courrier du Dimanche. Il représentait cet acte, dont il revendiquait hautement