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était reine, admirée profondément, entourée des soins les plus attentifs, délicatement aimée.

Chez Jules Simon, au cinquième étage de cette maison de la place de la Madeleine où il vécut cinquante ans, l’esprit d’opposition était plus marqué encore que dans le salon de Mme d’Agoult. On savait y parler d’autre chose que de politique et y entendre même au besoin des artistes distingués. Mais les habitués qui se réunissaient là le soir une fois par semaine étaient en général des militans. Gens du monde, membres de l’Institut, professeurs, écrivains, députés, journalistes, ils aimaient et ils admiraient presque tous dans leur hôte le libéral irréductible qui avait protesté à la Sorbonne contre le coup d’Etat et qui continuait la lutte au Corps législatif sans avoir désarmé un seul jour. Là on ne se nourrissait pas d’illusions, on ne croyait pas à l’Empire libéral. Pour ces esprits ardens et clairvoyans il ne s’agissait pas d’améliorer le régime, il s’agissait de le détruire et de le remplacer. Le mot de République errait sur toutes les lèvres.

Opposition résolue, mais enveloppée de grâce et de finesse comme tout ce qui venait de Jules Simon. Ce charmant esprit, ce merveilleux causeur cachait sous l’apparence du langage le plus mesuré et le plus caressant une des âmes les plus fermes de notre temps. A l’entendre, à le juger superficiellement, on l’aurait cru disposé à toutes les concessions. Il vous aurait accordé dans la forme ce que vous auriez demandé, mais il n’aurait sacrifié à personne aucune des idées auxquelles il tenait. Dans sa conception philosophique de la vie, toute atteinte portée à la liberté du plus humble des citoyens lui paraissait un outrage à la dignité de la nature humaine. Ce qu’il ne supportait pas de la part de l’Empire autoritaire, il ne le supportait pas davantage de la part de ses amis politiques lorsque ceux-ci faisaient mine d’abuser de leur nombre pour opprimer les minorités. Il se dressait alors contre eux de toute son énergie comme il s’était dressé contre le coup d’Etat. C’est cette solidité de principes qui explique la diversité des jugemens portés sur lui et la fragilité de sa fortune politique. Adversaire de toutes les tyrannies, il fut traité par les uns de radical, par les autres de réactionnaire. Il demeurait simplement ce qu’il avait été depuis sa jeunesse, le plus ferme en même temps que le plus conciliant des libéraux.


A. MÉZIÈRES.