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pas qu’Albert Dürer en possédât une provision qu’il évalue à 3 000 francs (1507), lorsqu’on le voit acheter la « couleur de plomb » sur le pied de 29 francs la livre à Anvers.

Quand les surfaces à couvrir étaient vastes, la besogne était longue et peut-être que les 26 000 francs, promis à Ghirlandajo pour la peinture du chœur de Santa Maria Novella, à Florence, ne le rémunéraient pas plus grassement que les 738 francs payés à Memlirig (1480) pour les quatre volets de retable (de 55 centimètres sur 42) de la guilde de Saint-Jean et Saint-Luc, à Bruges. Memling d’ailleurs était à son aise, propriétaire de plusieurs maisons et l’un des 150 bourgeois les plus imposés de la ville ; tandis que Stephan Lochner, le grand primitif allemand, dont les musées anglais et germaniques se sont disputé les tableaux, mourut à l’hôpital de Cologne. Autrefois comme aujourd’hui des talens égaux eurent d’inégales destinées. Le prix de 18 000 francs, payé à Giotto (1304) par le pape Benoît XI, pour 5 sujets de la vie du Christ et un tableau en détrempe dans la sacristie de Saint-Pierre, à Rome, semble hors de proportion avec les gains modestes de son maître Cimabue. Aux simples particuliers Giotto ne demandait que 90 francs et au maximum 250 francs pour un portrait. Il est vrai qu’il recevait de Florence une pension annuelle de 4 400 francs.

Mais les « pensions » des artistes célèbres, aux diverses époques, ne nous initient que très imparfaitement à leur situation financière, parce que c’étaient tantôt de pures munificences qui ne les astreignaient à rien, comme les 3 000 francs annuels de l’Empereur à Albert Dürer : tantôt au contraire, c’était le paiement anticipé de tout ou partie des œuvres que se réservait un bienfaiteur, non moins avisé que généreux. Telles furent, à Rome, la pension de 26 000 francs servie par Paul III à Michel-Ange ; à Madrid, celle de 7 000 francs promise à Velazquez par Philippe IV. Telles étaient en France les pensions des « peintres du Roi, » qui varièrent de 2 000 francs pour Simon Vouet et de 6 500 francs pour Van der Meulen, à 10 000 et 15000 francs pour Coypel, Poussin et Mignard.

C’est plutôt par le prix qu’ils vendaient leurs toiles que nous pouvons établir le budget des artistes. D’après quelques fortunes exactement connues de maîtres anciens, l’on devine que ce budget fut très variable suivant la richesse du pays où ils vécurent. Raphaël en mourant (1520) laissait près de 700 000 francs,