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traitent avec elle. Dans le partage fort inégal de cette somme, on peut observer une fois de plus le fait contemporain que j’ai déjà signalé : tendance à une inégalité croissante entre la masse et un petit nombre de favorisés. Sur les quarante statuaires qui ont reçu ces trois millions de droits, un seul a touché plus d’un million de francs, pour la reproduction indéfiniment multipliée d’un seul groupe ; neuf d’entre eux ont touché 85 000 francs et au-dessus. Aux trente autres il n’est échu en moyenne que 3 000 ou 4 000 francs.

Cette conquête nouvelle des arts plastiques, dont le bénéfice a été rendu profitable par la démocratie, n’a donc aucun caractère démocratique, je veux dire égalitaire. Elle n’implique pas davantage le souci de la justice esthétique. La faveur du public n’est pas nécessairement la récompense du talent ; les œuvres qui ont obtenu le plus grand succès de reproduction ne sont pas les meilleures qui soient dues au ciseau de nos maîtres actuels, et le maître même, qui à tiré un million de la reproduction d’un seul groupe, en a fait d’autres, qui valent davantage peut-être, mais ne lui ont presque rien rapporté. Ici comme ailleurs, l’Argent se donne à qui lui plaît, et peu lui importe le mérite pourvu qu’on lui plaise.

De ce que les morts, quêteurs de statues, et les vivans avides de bustes, de portraits surtout et de tableaux en tout genre, aient fait augmenter par leur pullulement le salaire des peintres et des sculpteurs, il n’en peut résulter que l’on produise plus de chefs-d’œuvre en notre temps qu’au temps passé ; ni d’ailleurs que l’on en produise moins, par ce motif que le souci du lucre serait susceptible de distraire l’artiste de la poursuite du beau idéal. Michel-Ange n’était pas un contempteur des richesses et nous avons des contemporains illustres qui, moins que lui, font cas de la fortune. L’enchérissement des œuvres d’art n’a donc, croyons-nous, d’influence appréciable ni sur les artistes, ni par conséquent sur leurs ouvrages. Il y a toujours des amans désintéressés et des favoris un peu cupides de la beauté esthétique, chez qui l’amour du gain n’atténue pas le talent.

Quant aux mauvaises peintures, il en est fait aujourd’hui sans doute un moins grand nombre qu’autrefois par des ignorans naïfs, parce qu’il y a moins de naïfs et d’ignorans ; mais il en est fait beaucoup plus qu’autrefois par de faux novateurs, parce qu’il y a plus de vaniteux, enflés d’un mérite imaginaire.