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pouvais m’entendre avec l’éditeur que j’estime trop d’ailleurs pour lui faire la moindre querelle. Vous verrez, cependant, dans la deuxième édition, quelques traces de notre altercation sur votre ancienne Constitution.

« Le Roi, me dites-vous, monsieur le comte, me fait l’honneur de désirer que mon ouvrage soit répandu avec profusion en France. Hélas ! je n’y puis rien. Je n’ai plus les moyens de diriger l’imprimeur, de fixer le nombre des exemplaires et de régler la distribution. D’ailleurs, je suis trop loin de l’imprimeur. Mais puisque je suis conduit à vous parler de moi, permettez- moi quelques détails.

« Je suis demeuré, depuis l’origine de nos troubles, constamment attaché au Roi[1] : je l’ai servi aussi bien que j’ai pu, et je quittai la Savoie où je suis né pour me réunir à lui, avant la réunion de ce malheureux pays à la France. Pour ce crime, j’ai été mis sur la liste des émigrés, et mes biens ont été confisqués. C’est le comble de l’extravagance autant que de l’injustice ; mais, le mal n’est pas moins fait. J’avais la perspective la plus brillante, si la Savoie avait été restituée. Le traité, ou pour mieux dire, la Capitulation de Paris, a renversé mes espérances. Rappelé de Suisse où j’avais servi le Roi pendant quatre ans, j’ai trouvé ici une pension de 2 000 francs qui se réduit à 1 200, vu la perte des billets, et je n’ai nul espoir d’être employé. Dispensez-moi, monsieur le comte, de m’étendre sur ce lamentable sujet. Le Roi n’est pas maître à beaucoup près de suivre son inclination : mes malheurs ne font qu’ajouter le sentiment d’une compassion respectueuse à ceux qui m’attachaient à lui. Cependant, il faut que je prenne un parti, et s’il m’est impossible de demeurer sujet du roi de Sardaigne, mon ambition est de devenir Français et de servir la cause du roi de France. Je ne puis obtenir justice au département de Chambéry ; mais, si je présentais une pétition au Conseil des Cinq-Cents, et qu’elle fût appuyée auprès des Députés qui marchent dans la bonne route, par un seul mot du Roi, je crois que je réussirais. Croyez-vous, monsieur le comte, que Sa Majesté voulût dire ce mot ? Il me semble que la nature m’a créé pour la France. Si l’on ne veut plus de moi de ce côté des Alpes, mes devoirs cessent et je demeure libre.

  1. Victor-Amédée III, roi de Sardaigne, mort le 16 octobre 1796, en laissant la couronne ii son fils Charles-Emmanuel IV.