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l’appuyer du bout du doigt pour être pincé ; cependant, j’y mourrai. »


Il semble bien qu’en cette circonstance, Joseph de Maistre ait prévu plus de malheurs qu’il n’avait lieu d’en redouter. C’est, du moins, ce qui ressort de la lettre moins alarmante, qu’il écrivait à d’Avaray, quinze jours plus tard. Comme la précédente, elle est datée de Turin, ce qui prouve qu’il n’avait pas été contraint d’en partir, et elle y ajoute de curieux détails.


« Turin, 12 novembre 1797 — Monsieur le comte, la malheureuse aventure, dont j’ai eu l’honneur de vous faire part dans ma précédente lettre, ne m’a point causé de désagrémens extérieurs. Mais j’ai déplu, grandement déplu, et j’en ai eu une preuve amère, car j’étais sur le point d’obtenir une grâce importante qui a été supprimée. Je n’ai point jugé à propos de partir sur-le-champ, et ce sur de fort bons conseils. Dans quelques jours seulement, je m’éloignerai de la capitale, et probablement je passerai en Suisse. Un jour peut-être, je ferai ma paix.

« J’espère, monsieur le comte, que Sa Majesté est bien convaincue que, malgré mes bonnes intentions, je ne puis plus remplir les siennes au sujet du morceau historique qu’elle me faisait, l’honneur de me demander sur le 18 fructidor. Votre lettre étant connue et mon style l’étant infiniment dans ce pays, si la pièce paraissait et qu’on vînt à y reconnaître ma plume, je serais enterré tout vif. Je suis désespéré de mon impuissance à m’acquitter de cette honorable commission. Daignez, monsieur le comte, être auprès du Roi l’organe de mon sensible regret.

« Vous ne serez peut-être pas fâché d’apprendre, monsieur, que Buonaparte, en lisant votre lettre, n’a pas seulement souri, n’a pas laissé échapper un seul mot, un seul signe de désapprobation, n’a pas critiqué une seule ligne. Il a fait dire à quelqu’un : En vérité, il avait l’air de trouver les raisons de M. le comte d’Avaray fort bonnes. Certains traits de cet homme à jamais fameux m’ont donné quelquefois des espérances. Lorsque Monk, officier de Cromwell, passait au fil de l’épée une ville royaliste, il était bien plus loin que Buonaparte de la bonne’ route. J’ai réuni plusieurs de ces traits fugitifs, qui sembleraient mènera quelque chose. Mais, d’un autre côté, lorsqu’on voit ce personnage extraordinaire appeler à lui comme des législateurs : Sieyès