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toute sa force libératrice, toute sa puissance de résurrection. De Vienne au Bosphore, l’Europe est encore inachevée ; elle est en travail d’une Europe nouvelle. D’une part, les nationalités tendent à s’agglomérer pour constituer des unités fortes, et, d’autre part, les grandes puissances, dans leur lutte pour la prépondérance, ont pris la péninsule pour champ clos, et l’antagonisme de leurs ambitions intervient dans le lent travail des populations, tantôt pour l’accélérer, tantôt pour le contrarier. On sait comment, moins de dix ans après la guerre de 1878 et le Congrès de Berlin, la Bulgarie, du même coup, s’annexait la Roumélie orientale et s’affranchissait de la protection russe. Ces derniers mois nous ont permis d’assister, en Serbie, à une évolution de même nature : sous les dehors d’un conflit économique avec l’Autriche-Hongrie, c’est en réalité une lutte politique qui s’est déroulée devant nous. Le roi Pierre et ses ministres viennent d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’émancipation des peuples slaves des Balkans. C’est sous cet aspect qu’il convient de regarder, pour en bien comprendre la signification, le conflit austro-sorbe, dont nous voudrions ici retracer les grandes phases.


I

Ce n’est point assez, pour qu’un État vive, d’inscrire son existence dans les traités ; il faut encore que sa constitution organique et sa situation dans le monde lui permettent de respirer, de se défendre, de se développer. Le congrès de Berlin, en taillant le royaume de Serbie, tel qu’il est actuellement, l’a mal préparé au combat pour l’existence ; il n’est guère, en Europe, de configuration moins avantageuse. Nulle part l’État serbe ne s’approche de la mer ; pour entrer en contact avec le reste du globe, il a besoin d’emprunter le territoire de ses voisins. Du côté de l’Adriatique, aucune communication directe par chemin de fer, mais d’épais massifs de montagnes, l’Albanie sauvage, la Bosnie et l’Herzégovine occupées par les Autrichiens ; pour rejoindre le Monténégro, dont la population est serbe de race et de langage, il faut traverser, sans routes ni chemins de fer, l’ancien sandjak de Novi-Bazar où l’Autriche entretient trois garnisons. Du côté du Sud et de la mer Egée, une voie ferrée descend vers Salonique par Nisch et Uskub ; c’est le chemin le plus direct