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prendre ainsi conscience du rôle que leur pays, si petit qu’il soit, peut jouer dans le monde balkanique et danubien, et la place qu’il peut tenir dans les combinaisons européennes. Ainsi l’Autriche, par ses exigences à l’égard de la Serbie, lui a, en définitive, rendu service.


V

Il serait sans doute exagéré de dire que le cabinet de Vienne, dans son conflit avec la Serbie, a subi un échec, — le mot ne serait pas de mise lorsqu’il s’agit d’une puissance comme l’Autriche-Hongrie en face d’un si faible adversaire, — mais il est certain qu’il a éprouvé une surprise. On a dû se rendre compte, en Autriche, que l’audace inattendue dont les Serbes ont fait preuve en tenant tête à leur redoutable voisin, ne leur a pas été inspirée seulement par l’amélioration de leur situation économique et financière, ni par le succès des mesures adroitement prises pour pallier les inconvéniens d’une rupture ; le patriotisme même le plus ardent, l’habileté même la plus subtile, ne suffiraient pas non plus à l’expliquer. Le cabinet Pachitch a été le bénéficiaire d’une situation générale qu’il n’a pas créée, mais dont il a su prendre conscience et tirer parti. Il a eu le mérite de sonder le terrain, et, l’ayant trouvé solide, d’oser s’y aventurer.

Derrière les apparences bénignes d’un conflit douanier, les puissances européennes, et, parmi elles, l’Angleterre et la France, n’ont pas tardé à s’apercevoir que des questions plus hautes étaient en jeu. L’indépendance, non seulement nominale, mais effective, des petits États balkaniques importe grandement à l’établissement d’un ordre durable dans les Balkans et par suite à l’équilibre et à la paix de l’Europe ; l’absorption des petits États par les grands amènerait la reconstitution, en Orient, d’une ou plusieurs de ces puissances démesurées dont l’existence est une menace pour la sécurité des autres. De même que l’Angleterre, en 1885, avait favorisé l’émancipation de la Bulgarie et son union avec la Roumélie avec l’espoir qu’elle deviendrait une barrière entre la Russie et le Bosphore, de même aussi, en 1906, l’Angleterre et, avec elle, la France et l’Italie, ont compris que l’existence d’une Serbie suffisamment indépendante et forte était une garantie de la stabilité politique de l’Orient et de l’Europe