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haranguant les passans et les inondant des mêmes « papillons. » Maintenant que la fièvre de cette campagne était calmée, elle parlait froidement, mais d’une voix toujours convaincue. Elle ne pouvait pas admettre qu’on élevât les filles comme des filles : il fallait les élever virilement, comme des garçons et avec les garçons. Foin de ces principes d’éducation qui combattent l’attrait des sexes et dérobent les exigences de la nature ! Les petites filles seraient donc élevées avec les garçons : on les exercerait à la gymnastique, on leur apprendrait à n’avoir ni manières réservées, ni distinction de pensées, de paroles, de gestes. Quant aux femmes, elle était révoltée qu’on les chargeât des soins ménagers. En revanche, elle jugeait abominable que les hommes, sous prétexte de galanterie, portassent les paquets des femmes, leur cédassent l’intérieur de l’omnibus, si elles étaient sur la plate-forme : elle rêvait d’entendre toutes ses compagnes discuter des questions sociales afin qu’il n’y eût plus que de graves conversations. Naturellement le divorce lui semblait encore une loi barbare. On se plaisait, on s’unissait ; on ne se plaisait plus, on se désunissait : et voilà tout. Enfin, elle n’accordait aux femmes la faveur de revêtir une robe élégante qu’un jour par semaine : tous les autres jours, comme les femmes seraient désormais uniquement des femmes d’action, elle leur imposait une robe très simple, une jupe, un caraco, ce qu’elle appelait enfin une robe d’action. Dieu, la patrie, la famille, lui paraissaient des termes bien surannés et bien vides. Et en bonne révolutionnaire, elle avait la haine de l’homme qui, paraît-il, ne fait de la femme qu’une bête de somme ou une bête de luxe.

De ce féminisme politique est découlée, tout naturellement, une littérature féministe, dont nous voyons aujourd’hui le plein épanouissement. Alors que ses aînées réclamaient tant de droits et aspiraient aux libertés des hommes, la femme qui se mettait à écrire a réclamé dans ses vers et dans ses romans par-dessus tout, malgré tout, et contre tous, le droit au bonheur, ce droit au bonheur n’étant que le droit à l’amour : c’est-à-dire le droit d’aimer chaque fois qu’elle en aura l’occasion ; le droit et presque le devoir de toujours céder, de ne jamais résister aux appels de l’amour ; le cœur enfin et les sens fièrement victorieux des raisons de la raison et de la conscience. C’est la grande théorie soutenue avec ardeur par les livres les plus célèbres de l’actuelle littérature féminine, et c’est bien au fond la même théorie, qui,