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journée elles ont remis quelques sous aux pauvres. Cette dîme légère prélevée sur les biens permet, une fois qu’elle est versée, de ne plus penser à ceux qui souffrent. L’aumône, d’autre part, loin de supprimer la barrière qui sépare le pauvre du riche, la reconnaît, la consacre et la solidifie, car elle laisse toujours sensible l’écart des rangs, la hauteur souvent même inconsciente de celui qui donne et l’infériorité de celui qui reçoit : bien plus, elle les rend plus sensibles encore, car elle entraîne quelque humiliation pour celui qui en est l’objet. Enfin, — et c’est là peut-être le grief le plus grand qu’on puisse lui adresser, — elle ne sert à rien ni de rien : vite épuisée, elle ne soulage qu’un instant, ou quelques heures, n’abolit pas la pauvreté, et l’entretient. Elle est même une sorte d’encouragement à la paresse : il est, dans toutes les grandes villes, des individus qui, sûrs de recueillir toujours de droite et de gauche quelques pièces de monnaie, aiment mieux mendier que travailler. La vraie charité chrétienne ne consiste pas dans l’exercice de l’aumône : elle est tout entière dans ces paroles du Christ : Aimez-vous les uns les autres. S’aimer les uns les autres, c’est ne plus croire qu’il y a dans la société des classes formées par les différences de naissance ou de ressources, mais croire que, si haut que le sort vous ait placé, on est le frère plus heureux de celui à qui le sort est dur ou cruel ; s’aimer les uns les autres, c’est réaliser, aussi profondément qu’on le peut, la fraternité qu’enseignait Jésus, et c’est s’entr’aider toute la durée de l’existence.

Cette notion nouvelle, les femmes, mieux que les hommes, pouvaient et devaient la comprendre, l’adopter et la mettre en pratique, parce qu’elles ont une plus fine sensibilité, une douceur native de manières et de paroles, une innocente et spontanée habileté, une perception plus subtile des nuances, une grâce aussi, qui triomphent des susceptibilités, des défiances et des craintes, si nombreuses et si faciles à éclore. Et ces femmes, dont je voudrais montrer les œuvres de la façon la plus vivante et que j’oppose aux féministes, sont justement celles qui, pénétrées de cette idée, ont transformé la charité en véritable action sociale, ou, si l’on veut, ont apporté à la réalisation des œuvres de justice l’esprit de la véritable charité chrétienne.

On conçoit que pour exercer cette action sociale, il faut une préparation préalable. Chacun peut faire l’aumône : mais qui pourrait du jour au lendemain exercer une action sociale ? Le