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colère, et elle va se jeter elle-même au fond d’un lac, après avoir tué Silla, au moment où celui-ci, ressaisissant sa volonté, se décidait à une vie de travail et d’expiation pour mériter l’amour d’une pure jeune fille, Edith Sternègge. Celle-ci simple, douce, modeste, à l’âme ardemment religieuse, a caché son amour pour rester auprès de son père, lui faire une existence heureuse et le ramener à Dieu ; mais elle sera fidèle à celui qu’elle aima et par delà la mort elle se donnera toute à celui qui fut « inapte à vivre. »

Chronologiquement c’est un des plus célèbres romans de Fogazzaro, Daniel Çortis, qui vient ensuite ; mais il se rattache mieux à la dernière série qui s’offrira à notre analyse. Le délicieux Mystère du Poète, au contraire, tient encore par de nombreux liens aux débuts surtout poétiques de son auteur. Et pourtant, tout l’essentiel de ses idées s’y montre déjà en œuvre. Le poète vient de traverser une crise de faiblesse morale et d’inertie intellectuelle. Il a failli céder à un amour médiocre et coupable. Dans une petite station de montagne il refait son âme dans l’intimité de la nature, et voici qu’un soir monte vers lui une musicale voix de femme que jadis il a entendue en songe et que sans hésitation il reconnaît comme un appel de Dieu. Il tente tout le possible pour se faire aimer de Violette qui lui est ainsi révélée ; mais celle-ci a été brisée par un amour repoussé et elle s’est fiancée, par raison, en le lui avouant, à un placide et sentimental bourgeois allemand. Le poète triomphe de tous les obstacles. Les fiançailles de raison sont rompues et la destinée du poète, dont il est sûr, va s’accomplir : Violette lui engage sa vie. Mais elle est d’une santé délicate et compromise, et il le sait ! Que lui importent les limites de l’existence terrestre ! Elle n’est qu’obstacle et que commencement. La vraie vie s’épanouit quand l’âme se dépouille de ses entraves matérielles. Aussi ne connaissent-ils que peu de temps la joie de s’être enfin retrouvés : le soir de la cérémonie de leur mariage, Violette meurt d’une affection cardiaque subitement aggravée, et le poète se retrouve seul en ce monde, sans qu’aucun, même parmi les siens, ait connu cette brève union. Cependant, leur intimité n’en est point brisée. Leurs deux âmes continuent à vivre d’un souffle commun ; le poète n’entreprend rien sans remonter à cette inspiration ; il sent l’âme qu’il aima toujours proche de lui, toujours prête à l’encourager, toujours prompte à le fortifier ; il vit vraiment