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raisonneur de Louise Rigey et la spontanéité généreuse de François Maironi. A l’heure où s’ouvre le roman, ce conflit en est arrivé à une crise aiguë et générale. Pierre a été élevé par deux parens : la marquise Scremin, d’une dévotion presque outrée, d’une grande sainteté, mais d’une désolante étroitesse d’esprit ; le marquis Scremin, son mari, très religieux lui aussi, mais d’une ambition démesurée et mesquine et d’un caractère sans grandeur. Entre eux deux, sa jeunesse s’est écoulée austère et triste, dévorée d’ardeurs mystiques et torturée d’obscurs désirs sensuels. Rien n’a assouvi son esprit ni son âme. Il a épousé, avec un demi-consentement. Elise, la fille des Scremin, mais il n’a pas su éveiller sa nature timide, et leurs âmes ne se sont pas harmonisées. Bientôt d’ailleurs elle est devenue folle et tandis qu’elle est enfermée, incurable, dans une maison de santé, Maironi sent gronder en lui les appétits de l’instinct et s’ébranler en même temps les assises de sa foi. Cette foi, il l’a trop reçue toute faite des autres ; elle n’est pas assez son œuvre ; aussi, aux premiers doutes, la trouve-t-il superficielle et sans racines profondes. Dans cet état de trouble et de déséquilibre, il rencontre, malgré lui, l’amour d’une femme intelligente, artiste, sensible et cultivée, Jeanne Dessalle, qui vit séparée d’un mari indigne. Jeanne, dédaigneuse de l’amour sensuel, donne à Pierre toute son âme et ne lui demande que son âme ; mais Pierre vient à elle avec toute la fougue de sa nature inassouvie et, quoiqu’il s’estime purifié par son amour pour une nature aussi haute, il n’est pas maître de limiter sa passion.

Pourtant elle ne domine pas tout en lui, et les souvenirs de ses parens se réveillent avec le souvenir de celle qui vit encore et à qui il a promis fidélité pour la vie. La lutte n’en devient que plus violente et tourbillonne en lui, avec des alternatives d’enthousiasme et de découragement. Enfin, un soir où il va décidément céder à l’appel des sens et où Jeanne, qui craint de le perdre, s’est laissée aller à donner son consentement, une nouvelle inattendue lui parvient : sa femme a retrouvé la raison, mais elle va mourir. Elle meurt en effet après lui avoir demandé pardon de n’avoir pas su le comprendre, et lui avoir donné rendez-vous auprès du Seigneur. Violemment ramené à la vérité et à la maîtrise de soi, Pierre entend de nouveau en lui la claire voix de Dieu qui lui commande de mener une vie utile et sainte. Il part, sans que personne puisse suivre sa trace.