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Avril 1792 ! premier mois anniversaire de la mort de Mirabeau ; Emilie le passe donc dans les afflictions du corps et de l’esprit... Mais est-elle vraiment si malade ? Elle est enceinte. Du comte de Galliffet ? non point, M. de Galliffet avait émigré, Non à Nice, mais à Turin et, de là, à Livourne, où il n’était occupé, sans doute, que des nègres de Saint-Domingue qui menaçaient de changer cette colonie, source de ses immenses revenus, en un champ de ruines, de massacres et d’incendies. Il aurait bientôt à gagner sa vie et celle des siens, comme maître à danser ; et en peu de temps, il apprendrait à pratiquer l’économie avec tout l’excès qu’il apportait naguère dans sa dépense. Laissons Emilie nous dire elle-même le nom de son nouvel amant et nous mettre au fait de sa situation misérable, que son père lui défendait de régulariser par un mariage. Devant cette opposition irréductible, Emilie avait prié l’évêque de Nice de consentir à un mariage secret ; mais ce prélat, fort attaché à son temporel, avait refusé, et il avait exposé les motifs peu évangéliques de ce refus avec une candeur si inconsciente qu’on aimera mieux en sourire que s’en offusquer ; et d’ailleurs, ils laissaient à la pauvre Emilie la ressource d’en appeler à la bonté du roi de Sardaigne, Victor-Amédée III. Elle lui adressa en effet cette supplique :


La dame comtesse Riquetti, veuve Mirabeau, libre et émancipée, désire épouser le comte Foucard de la Roque fils, lieutenant dans le régiment de Nice, tant pour mettre à couvert son honneur que pour assurer un état au gage de leur amour qu’une grossesse très avancée leur promet. Les tentatives auprès de son père pour obtenir son consentement lui ayant fait connaître que des démarches ultérieures ne lui attireraient que son indignation qu’elle redoute plus que la mort, elle a ouvert son cœur à l’évêque de Nice, d’accord avec le comte de la Roque et sa famille, en le priant avec les plus vives instances de lui accorder la permission de contracter un mariage secret qui, dans la malheureuse position où elle se trouve, est l’unique remède à ses maux. L’évêque de Nice reconnaît qu’à son âge et dans son état les lois sont pour elle, mais il n’ose acquiescer à sa demande par la crainte, dit-il, d’être désapprouvé par la Cour. Dans cette situation désespérée, elle implore la clémence du Souverain, elle dépose dans son sein le secret de son honneur et le supplie d’ordonner à l’évêque de Nice de consentir à son mariage sans la participation de son père ni d’aucune autre personne qui puisse l’en instruire, ce qui est la grâce qu’elle demande sur toutes choses, comme celle d’où dépend peut-être son bonheur et sa vie.


A l’appui était jointe la réponse négative de M. de Nice :