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l’opinion publique à l’égard de Mirabeau. Un témoin nous dit : « On la voyait toujours occupée de son Mirabeau. Elle ne cessa de s’entourer de ses lettres, de ses portraits, de sa musique de prédilection qu’elle chantait avec une voix et un art encore admirables. » Ce témoin était le fils adoptif de Mirabeau, plus tard son apologiste éloquent et pieux, alors jeune homme de 14 à 16 ans, Gabriel Lucas de Montigny. On l’appelait Coco, comme on avait appelé Gogo le petit Victor. Il avait été recueilli par M. et Mme du Saillant à la mort de l’orateur, dont il hérita tous les papiers de famille. Emilie poussa l’affection pour cet enfant étranger jusqu’à le traiter comme son propre fils et à lui léguer par testament toute la partie disponible de sa fortune, « legs considérable qu’un irréparable vice de forme laissa sans effet. » Elle mettait autant de soin, sinon de libéralité, à s’occuper des sept enfans survivans de sa bonne sœur Caroline, de ses gendres, de ses petits-enfans et de tout son intérieur.

C’est ainsi qu’elle jouait, à rideau baissé, sur le théâtre de ses premières ambitions, son dernier proverbe ; c’est ainsi qu’elle se couchait comme elle avait fait son lit. Ce vieil hôtel Mirabeau avait conservé intact, avec son luxe royal, la chambre de Marguerite de Valois : Emilie se plaisait à évoquer cette spirituelle et galante figure, à se comparer à elle, à ce que rapporte avec une indulgente délicatesse Lucas de Montigny, « non, certes, par la beauté et les galanteries, mais par les vicissitudes d’une vie pénible et des orages de famille, par le périlleux isolement d’un divorce, par le goût et la pratique des arts et des lettres. » Il ajoute qu’elle vécut ainsi deux années, souvent mélancolique, plus souvent gaie, selon les variations de sa santé assez mauvaise, et de ses affaires dont le l’établissement éprouvait des difficultés... Caroline du Saillant séjournait alors le plus souvent en Limousin où tantôt la maladie et tantôt ses intérêts la retenaient. La dernière lettre qu’elle reçut d’Emilie trahissait la détresse et la lassitude d’une existence désormais consciente de son inutilité. Il s’agissait pourtant de lui annoncer un heureux événement, la rentrée à Paris de son fils émigré, le comte Victor du Saillant, à qui le 18 Brumaire avait rouvert les portes de la patrie et rendu la liberté de résider auprès des siens. Mais le bonheur même ne pouvait plus émouvoir Emilie qu’en lui tirant des plaintes. Elle écrivait donc à Caroline, de Paris, le 27 pluviôse an VIII (16 février 1800) :