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a été la publication, par un des « lettrés » anglais les plus subtils et les plus raffinés, M. Chesterton, d’un gros livre qui n’est ni une biographie, ni une étude historique ou critique, mais bien, proprement, ce qu’on pourrait appeler un Eloge de Dickens !


Romancier, essayiste, critique dramatique, M. Chesterton est certainement aujourd’hui l’un des plus originaux parmi les jeunes écrivains anglais. Peut-être même aurait-il une tendance à exagérer sa crainte, d’ailleurs très légitime, de la banalité : et il n’y a pas jusqu’à son livre sur Dickens qui, tout excellent qu’il soit, ne nous laisse l’impression d’un ouvrage incomplet, faute pour l’auteur d’avoir pu se résigner à traiter telles parties de son sujet où d’autres avaient déjà touché avant lui. Mais son livre n’en est pas moins, et à beaucoup près, le meilleur qu’on ait écrit depuis longtemps sur ce sujet ; et nulle part encore M. Chesterton n’a tiré un aussi heureux parti de ses qualités natives, dont la plus précieuse est, si je ne me trompe, un humour à la fois très simple et très délicat, s’appuyant sur la plus droite et solide raison pour aboutir aux déductions les plus imprévues. Sous une forme volontiers paradoxale, le Dickens de M. Chesterton ne nous apporte rien qui ne soit profondément médité et pesé, ni dont on ne soit forcé de reconnaître la parfaite justesse, quand on a fini de s’étonner de l’agréable fantaisie de son expression. C’est un livre que je ne saurais mieux comparer, pour la manière dont il tranche toutes les questions qu’il aborde, qu’à l’admirable Balzac de M. Brunetière[1] : comme lui, il achève de mettre au point toute sorte de faits d’histoire littéraire que personne, jusqu’ici, n’avait encore nettement exposés ; comme lui, il consacre définitivement la gloire du grand romancier dont il indique le vrai rôle et les vrais mérites. L’écrivain anglais nous dit, quelque part, « qu’il suppose bien qu’aucun malin (prig) ne survit plus qui ose encore nier la très haute place occupée par Dickens dans la littérature de tous les temps : » mais, en tout cas, nous pouvons être certains qu’aucun « malin » de ce genre, s’il en reste encore, ne survivra à la publication de son livre sur Dickens, tout de même que nous pouvons être certains, après le Balzac de M. Brunetière, que jamais plus quelqu’un ne se trouvera pour nier sérieusement la « très haute place » occupée, dans le roman

  1. Me permettra-t-on de noter, à ce propos, que l’édition anglaise du Balzac, — écrit expressément pour cette édition, — vient enfin de paraître, et que tous les critiques, en Angleterre comme aux États-Unis, s’accordent à en proclamer l’éminente valeur ?