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modifiés, quand il a consenti à s’en servir. Le soldat est devenu un peu moins grotesque que celui de Plaute et moins excessif dans ses vanteries. Le parasite n’est plus ce goinfre uniquement occupé de courir après un bon dîner, qui répète les bons mots qu’il a péniblement appris par cœur, qui souffre qu’on l’accable d’injures et qu’on lui jette des plats à la tête. C’est un homme d’esprit qui, pour vivre aux dépens d’un sot, le flatte en sa présence et se moque de lui quand il ne l’entend pas. Ces changemens, qui renouvelaient d’anciens types, leur donnaient plus de vie en les individualisant, et, au lieu de personnages qu’ils étaient, en faisaient des personnes, furent bien accueillis du public. Il trouva tant de plaisir à l’Eunuque qu’il voulut l’entendre une seconde fois. La pièce fut reprise comme neuve, et payée 8 000 sesterces (1 600 francs), ce qui était, à cette époque, pour une comédie, un prix considérable.

Ce succès éclatant montre que Térence aurait pu se borner à continuer Plaute, et qu’il pouvait très bien y réussir. Ce n’est donc pas par impuissance, mais de parti pris, qu’il a fait autrement. Pour s’éloigner de celui qui était le maître du théâtre et dont l’imitation semblait s’imposer à ses successeurs, il fallait qu’il eût une raison particulière. Il nous sera, je crois, facile de connaître le dessein qu’il se proposait dans ses pièces en rappelant rapidement les sujets qu’il préfère, les questions qu’il soulève et l’esprit dans lequel il les a traitées.

Chez Plaute, la famille est le cadre dans lequel l’action se déroule ; chez Térence, elle est l’action même. En général, il s’enferme dans les incidens dont se compose la vie intérieure et n’en sort guère. La matière a peu d’étendue, et c’est ce qui explique que le fond des pièces antiques nous semble manquer de variété. Chez les anciens, la maison est moins ouverte qu’aujourd’hui, l’intimité plus restreinte. Dans cet intérieur étroit, où l’étranger pénètre à peine, le père vit avec la femme et les enfans. L’action va donc se concentrer entre eux, mais non pas d’une manière égale. Les rapports des deux époux semblent très peu intéresser Térence, qui s’en occupe rarement ; ils sont âgés, le mariage remonte loin ; les affections des premières années se sont refroidies, elles sont devenues des habitudes, quelquefois des chaînes. Le vieillard est grognon, la femme revêche ; leurs entretiens tournent facilement en disputes. On remarque pourtant que, chez Térence, ces disputes sont moins aiguës que chez