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quand il s’agit de flatter la vanité de Grimm, lequel avait toutes les vanités ! Telle est l’histoire du fameux duel où il défend l’honneur de Mme d’Épinay, et dont Mme Macdonald démontre avec beaucoup de finesse qu’il ne fut jamais, selon toute vraisemblance, qu’une agréable fiction, destinée à relever d’un point d’héroïsme le rôle un peu plat du personnage[1] ; ou telle est cette recommandation délicieuse : « Donnez le titre de chevalier à Voix [Grimm][2]. » — Par malheur, ’ l’imagination des complices n’est pas toujours aussi innocente, et devient volontiers perfide ou odieuse. C’est ainsi qu’en passant, on insinuera que les Elois avaient tiré René de la misère, et « tout sacrifié pour lui[3] ; » ou que, dans une lettre de René, on lui fera dire : « Il m’est essentiel d’avoir du loisir et de la tranquillité pour achever cet hiver un grand ouvrage ; il s’agit peut-être de 2 000 écus de profit[4]… » Notez que ces perfidies seront adroitement supprimées par Brunet, qui aurait craint, en les maintenant, et parce qu’il les jugeait lui-même par trop incroyables, — c’est du moins le sentiment que lui prête Mme Macdonald, — de porter préjudice à la crédibilité du texte. On en pourrait allonger la liste. Les exemples ci-dessus suffiront à montrer l’importance de la découverte de Mme Macdonald, et la part de réalité du complot que Rousseau avait toujours pressenti, qui n’exista peut-être pas authentiquement de son vivant, mais qui, je crois, se réalisa après sa mort. Du reste, on la mesurera mieux encore en constatant tout ce qu’un critique aussi renseigné et équitable que M. Brédif a tiré des Mémoires de Mme d’Épinay, et la créance qu’il leur a conservée[5] ; et l’on abandonnera définitivement cette source empoisonnée, pour tous les faits qui ne peuvent être établis par d’autres témoignages.

  1. App. DD, 1, p. 385-86, et t. II, p. 65-76.
  2. App. DD, I, p. 386.
  3. App. DD, I, p. 398.
  4. Ibid., p. 401.
  5. Voyez entre autres, p. 347-15. — M. Brédif suppose que la cause première de la rupture de Diderot avec Rousseau, fut le « flagrant délit » où Rousseau aurait été pris par son ami, « d’avoir essayé de donner à Mme d’Houdetot des scrupules de conscience, avec l’espoir secret de supplanter Saint-Lambert. » Et nous savons maintenant ce qu’il faut penser de cette prétendue hypocrisie, et de la lettre où Diderot raconte mélodramatiquement la terrible impression qu’il en eut.