Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre du Créateur, elle est tout entière dans chacun de ses aspects ; il n’est pas d’aube se levant sur le plus modeste des champs, il n’est pas de soleil se couchant sur la moins pittoresque des villes, qui n’en révèle toute la splendeur. L’ennui, ne craignez-vous pas de le retrouver à toutes les étapes et à toutes les escales ? C’est en vous qu’il réside et vous êtes à vous-même votre compagnon de voyage. Vous pensez avoir bien gagné de prendre un peu de distraction ; mais votre vie si affairée, si compliquée, si surchargée d’inutilités, n’est-ce pas une perpétuelle distraction où tout vous distrait, en effet, de ce qui est le propre de l’homme, né pour réfléchir et vivre par l’esprit ? » Ce discours n’eut aucun succès ; l’accent en était triste et suranné ; on renvoya le prêcheur à son prône. « Tout cela était bel et bien, lui répondit-on justement, quand nous n’avions ni les chemins de fer, ni les bateaux à vapeur, ni les automobiles. A l’heure qu’il est, on n’a plus que le plaisir du voyage, sans en avoir les difficultés. Le progrès a changé les conditions de la vie et la face du monde. Il a mis à nos portes ces merveilles de la nature et de l’art, que naguère nous étions réduits à entendre célébrer par ceux qui revenaient de loin. Il faudrait être d’un naturel bien peu curieux, et d’un sang bien épais, pour ne pas être tenté d’y aller voir. » Cela est sans réplique. A l’instant donc où tout le monde a le voyage en tête, parlons, nous aussi, de voyages.

S’il n’y avait pas les Mémoires et les livres d’histoire, pour lesquels nous continuons d’avoir une passion sans égale, on pourrait dire des récits de voyages qu’ils sont notre « gibier en matière de livres. » Leur attrait est de même nature que celui des récits historiques, et il n’est personne qui n’y soit accessible. Pour les jeunes gens, ils ont ce charme d’être aussi romanesques que les romans, et pour les lecteurs plus âgés celui d’être plus réels. Il vient un moment dans la vie où l’on se dégoûte de la fiction, où l’on demande avant tout aux choses, pour qu’elles nous intéressent, d’être arrivées. Il y aurait là-dessus beaucoup à dire ; mais c’est un fait. Les récits de voyages, comme les Mémoires, — encore que l’invention y ait bien sa part, — donnent satisfaction à ce goût du réel. Je sais des lecteurs qui y prennent plus de plaisir qu’au voyage lui-même. C’est le voyage, non seulement sans le wagon et sans le roulis, mais le voyage expliqué, commenté, mis en scène. Ces livres sont pleins de descriptions ; et combien de gens, pour qui le monde extérieur n’existe pas, avoueraient, s’ils étaient sincères, n’en avoir jamais perçu les images qu’autant qu’elles leur étaient présentées par les écrivains ! Ils sont