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Mais voici que soudain les cieux s’illuminèrent,
Ton fantôme surgît, souriant, tendre et doux,
Dans un dernier effort je me mis à genoux,
Les oiseaux de la mort, effrayés, s’envolèrent.

De ton corps rayonnait une lueur dorée,
Comme une clarté d’aube, au printemps, le matin ;
Dans l’éblouissement d’un rayon, au lointain,
Venise m’apparut dans sa splendeur pourprée.

Alors, tout au sommet du Campanile antique,
J’entendis dans le vent ta parole chanter,
Et je vis, aussi loin qu’un regard peut porter,
Ton sourire éclairer la mer Adriatique !


J’AI TANT AIMÉ…



A BAUDELAIRE
Au poète des angoisses, dont le portrait me regarde écrire.




J’ai tant aimé, j’ai tant souffert, j’ai tant pleuré,
Qu’au ravin de mes yeux la source s’est tarie,
Que la chair de ma face est à jamais flétrie,
Et qu’en mon cœur sauvage un démon est muré !

Privé d’Elle, maudit, damné, désespéré,
Je contemple en dedans son image chérie,
Je songe au goût de fruit de sa lèvre fleurie,
Où je buvais l’amour comme un fauve altéré !

Et toi, dont le regard m’examine en silence,
Baudelaire, Empereur de tous les Désespoirs,
Pontife de la Haine et de la Violence,

Dans quel creuset d’Enfer, mêlais-tu, tous les soirs,
Ta rancune éternelle à ta douleur immense,
Pour y polir ton Verbe au Feu de ta Souffrance !…

Jacques de Briey.