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— Est-ce ainsi, bougres, qu’on pille les marchands !

— Mais nous n’en fûmes pas moins volés, ajoute la pauvre fille.

Jacques Bejuy, avec sa bru et ses deux grands fils, étaient partis à trois heures du matin de La Tour-du-Pin, pour se rendre en pèlerinage à Notre-Dame de Pagnieu, dont la chapelle était à quatre cents pas de Saint-Genix. Entre sept et huit heures du matin, ils passaient le pont, quand ils croisèrent les La Morlière, qui venaient en sens inverse, hérissés de butin. Les argoulets les bousculent, les bourrent de coups, leur volent leurs chapeaux de dessus la tête, ils leur prennent leur argent dans les poches. Bejuy a les côtes enfoncées, et l’un de ses fils est percé d’un coup de baïonnette.

Tel fut le tumulte de l’expédition que, le lendemain, on retrouva, tant au château de Rochefort que dans les blés où les argoulets avaient passé et sur les bords du Guiers-Vif, quantité de chapeaux, de bonnets, de baïonnettes et de fourreaux de sabres, dont les soldats avaient semé leur chemin. On eût dit un champ de bataille abandonné par une armée en déroute.

La troupe repassa donc le pont de Saint-Genix sur les huit heures du matin. Les premiers rangs entouraient les charrettes où Mandrin, Saint-Pierre le Cadet, les deux Nîmes et Claude Planche étaient ligottés.

Après avoir traversé le pont, les Mandrins arrivèrent au second bras du Guiers, car, en cet endroit, la rivière se sépare en deux petits bras qui se rejoignent un peu plus bas, enserrant une petite île.

Au second bras du Guiers, il y avait un bac, que faisaient manœuvrer Joseph et Laurent Péclier, père et fils, de Saint-Genix, part de Savoie.

Laurent était à son poste. Il passa un premier groupe de soldats, une quinzaine, armés de leurs fusils, baïonnette au canon, entourant Mandrin, « qui avait son mauvais habit et les jambes nues. » Il était toujours noué avec des cordes. Le second passage comprit Saint-Pierre, également entouré d’une quinzaine de fusiliers.

Puis le batelier mit successivement d’une rive à l’autre Claude Planche et les deux Nîmes. Les soldats, dit-il, étaient pour la plupart en veste blanche d’uniforme, ils avaient le visage, les uns noirci au charbon, les autres couvert de gaze,