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la conduite des députés aux deux premières assemblées russes.

Les députés à la première Douma d’Empire n’y sont pas venus siéger en humbles représentans d’un peuple encore mineur, chargés par le Tsar d’apporter au pied du trône les vœux de la nation. Ils sont venus en juges et en vengeurs, exaspérés des insuccès de la guerre, irrités des humiliations de l’armée et de la Hotte, dont ils rendaient responsables le gouvernement, les ministres, la bureaucratie, les hauts fonctionnaires, tout le régime et tout le personnel administratif, résolus à demander des comptes, à punir les fautes et les fraudes, à rechercher et à châtier les coupables, à écarter les corrompus et les incapables, à épurer et à purifier les administrations, décidés en un mot à donner à la Russie, avec le régime constitutionnel, un gouvernement nouveau, éclairé et libéral, responsable et honnête. Et pour soutenir cette généreuse ambition, ils croyaient bien sentir derrière eux la nation entière, propriétaires, marchands, ouvriers, paysans. Ainsi s’explique la fière et dédaigneuse attitude de la première Douma, lors de son inauguration solennelle par l’Empereur, dans la fastueuse salle Saint-Georges, au Palais d’Hiver. J’assistais à cette séance unique, un des spectacles les plus grandioses et un des plus impressionnans qu’il m’ait été donné de contempler en ma vie déjà longue.

D’un côté, à la droite du trône, étaient rangés les ministres, les hauts fonctionnaires, les généraux, les membres du Conseil de l’Empire, tous debout, en grand uniforme chamarré d’or, la poitrine étincelante de décorations ou coupée de grands cordons. De l’autre côté, à la gauche de l’Empereur, les nouveaux élus du peuple, les membres de la Douma, un petit nombre en habit, davantage en redingote, beaucoup en veston ou en simple kaftan de paysan, beaucoup en grosses bottes. C’étaient comme deux Russies adverses, l’ancienne et la nouvelle, la Russie officielle et la Russie populaire, qui se regardaient, se toisaient, se défiaient Tune l’autre. Et, debout, devant ces deux Russies hostiles comme affrontées, se tenait l’Empereur, l’impératrice mère à sa droite, l’impératrice régnante à sa gauche, les grands-ducs, la main sur leur épée, derrière lui. Et quand, après les prières et les hymnes en vieux slavon, après les solennelles invocations sur le Tsar et sur le pays, par le métropolite et les évêques aux lourdes chapes d’or, l’Empereur, d’une voix nette et d’un ton ferme, avec plus de résolution qu’on n’en attendait de lui, eut lu un discours