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à Coblentz ont fait plus de mal que Mme de Balbi et cependant ont trouvé grâce devant le public, parce qu’elles le soignaient davantage ! » Et Contades continue en précisant certains faits qui réduisent à néant bon nombre des reproches dont on l’a abreuvée.

Favorite déclarée du prince, elle avait fait de son salon le rendez-vous de la plus brillante société, le cénacle où se faisait et où se défaisait l’opinion. Ecoutons le comte de Neuiliy nous faire le tableau de ces réunions quotidiennes. Intimement lié avec le fils de la favorite, qui servait, comme lui, dans les gardes du corps de Monsieur, il était devenu son inséparable : « Balbi était alors l’enfant gâté de sa mère, chez laquelle il nous attirait souvent et où l’on trouvait chaque soir un excellent souper. Monsieur n’y manquait jamais. On y était fort gai, je finis par y passer presque toutes mes soirées. Tous les soirs, quand la comtesse de Balbi avait fait son service auprès de Madame, elle rentrait chez elle, où sa société s’assemblait, mais d’abord, elle changeait de toilette ; on la coiffait près d’une petite table qu’on apportait d’une pièce voisine, on lui passait ses robes, même sa chemise en notre présence : c’était reçu, et cela nous paraissait si naturel que nous n’y pensions même pas. Je dois dire que, malgré mes yeux assez vifs, je n’ai jamais rien vu de plus que si elle avait eu autour d’elle dix paravens. Nous étions là, Pire, Balbi et moi, petits garçons sans conséquence bien que portant l’uniforme, et des hommes déjà. Mais Monsieur y était aussi et n’y faisait pas plus d’attention que nous. D’ordinaire, il demeurait le des tourné, assis dans un des fauteuils devant la cheminée, la main appuyée sur sa canne à pommeau, dont l’ombre, lorsqu’on la projetait en silhouette, formait Je profil de Louis XVI. Il avait la manie de fourrer le bout de sa canne dans son soulier. Pendant la toilette de Mme de Balbi, qui durait à peine dix minutes, la conversation suivait son train sur le même ton familier et gai… On parlait spectacles, musique ; nouvelles de Paris, chansons, fatras, chronique scandaleuse, Monsieur contait des anecdotes d’une manière ravissante et savait gazer ce qu’elles avaient parfois de graveleux. On jouait à des jeux d’esprit, on remplissait des bouts-rimés, et Monsieur voulait que nous fissions comme lui. On faisait une lecture, et quelquefois, c’était mon tour. Monsieur me passait le livre. Parfois, il fallait faire des vers, et Son Altesse Royale daignait nous donner des leçons de prosodie. On tirait les suicts au sort… »