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six mois, du 2 janvier au 9 juillet, il avait parcouru librement le Dauphiné, le Languedoc et la Guyenne. En Suisse, il se réapprovisionnait en marchandises de contrebande. Un grand nombre de commerçans de Genève, de Nyon, de Coppet, de Carouge (cette dernière localité en Savoie), lui étaient dévoués. L’un d’entre eux, François-Henri Divernois, chez qui Mandrin avait de l’argent en dépôt, était ami de Jean-Jacques Rousseau, qui parle souvent de lui dans sa correspondance.

A la fin de juillet 1754, Mandrin fit sa deuxième campagne, rapide incursion dans le Lyonnais. On y voit le contrebandier élégant, brillant, formé aux belles manières, que la légende nous a transmis et qui se trouve dans les textes du temps.

Cependant les fermiers généraux commençaient à trouver que l’aventure prenait une tournure déplaisante. Ce bandit, ce brigand, ce malandrin, Mandrin de qui le nom se répandait dans la France entière, leur coupait la bourse par trop lestement. Ils obtinrent que les garnisons placées sur les frontières, pour barrer la route aux contrebandiers, fussent renforcées par des troupes « légères, » compagnies qui n’étaient pas comprises dans l’armée « réglée. » Ils y firent envoyer, entre autres, un régiment qui avait combattu en Flandre, sous les ordres d’un officier de fortune, Dauphinois comme Mandrin, et qui va jouer un grand rôle à la fin de ce récit, le colonel Alexis Magallon de la Morlière.

Le peuple nommait les soldats de La Morlière « les argoulets, » ramassis de gens de toutes conditions et de toutes nationalités. Il y avait parmi eux jusqu’à des nègres. Uniformes singuliers : les cavaliers portaient leurs cheveux en tresses. Pandours faits pour les hardis coups de main, gens de sac et de corde. Des lettres de La Morlière, conservées dans les archives de la Bastille, le montrent occupé à racoler ses gens dans les bas-fonds des prisons parisiennes. Leur ardeur au pillage les avait fait surnommer les « croque-moutons. » Il sembla qu’ils étaient faits pour avoir raison des Mandrins.

Ces troupes légères furent placées directement sous les ordres des fermiers généraux et ceux-ci établirent, auprès des officiers qui les commandaient, un personnage que l’on peut vraiment comparer aux commissaires qui seront délégués par la Convention auprès des armées nationales, quarante ans plus tard. Il fut, auprès des officiers, le délégué de la Finance. Le choix des Fermiers tomba sur l’un d’entre eux, sur Bouret d’Erigny, le