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De plus en plus, ces causes agissent et produisent leurs effets, qui, à leur tour, immédiatement, deviennent causes : ces symptômes vont s’accentuant et s’accusant de plus en plus jusqu’à l’application ou la non-application arbitraire des lois, jusqu’à la désobéissance catégorique, systématique aux lois, jusqu’au refus de l’impôt, jusqu’à la grève des fonctions civiles, jusqu’à la prédication antipatriotique, jusqu’à la mutinerie militaire, jusqu’à l’acte insurrectionnel, jusqu’au mouvement révolutionnaire, jusqu’à l’attentat qui retourne et retombe au crime de droit commun. Alors s’ouvrent les yeux des aveugles, et les premiers coupables se frappent ou souffrent qu’on leur frappe la poitrine. Mais ils auraient mieux fait de voir, de prévoir et de pourvoir.

D’autant que les symptômes sont les mêmes et se retrouvent dans tous les temps et dans tous les pays. Dans tous les temps : exemple, pour les débuts de la Révolution française, quelques traits que je relève en feuilletant un volume de Taine[1]. Dès le milieu de juillet de 1789, « non seulement le pouvoir avait glissé des mains du Roi, mais il n’était point tombé dans celles de l’Assemblée : il était par terre, aux mains du peuple lâché, de la foule violente et surexcitée, des attroupemens qui le ramassaient comme une arme abandonnée dans la rue. En fait, il n’y avait plus de gouvernement ; l’édifice artificiel de la société humaine s’effondrait tout entier ; on rentrait dans l’état de nature. Ce n’était pas une révolution, mais une dissolution. » Une misère noire, des disettes, la crainte de la faim, des charges écrasantes y sont pour beaucoup ; mais l’incertitude de l’autorité y est bien aussi pour quelque chose ; en ce crépuscule des dieux qui s’en vont, en cette aube des hommes qui viennent, « le commandement flotte et l’obéissance est moindre. » Trois mois avant, en mars, avril et mai, l’émeute couve et pétille de toutes parts : « Dans les quatre mois qui précèdent la prise de la Bastille, on peut compter plus de trois cents émeutes en France ; il y en a de mois en mois, et de semaine en semaine. » Même sans émeute, dans le calme de la place publique, « ce n’est plus le peuple qui obéit aux autorités, ce sont les autorités qui obéissent au peuple. Consuls, échevins, maires, procureurs-syndics, les officiers municipaux se troublent et faiblissent devant la clameur immense ; ils sentent qu’ils vont être foulés aux pieds ou jetés par la fenêtre. » Voici

  1. Les Origines de la France contemporaine. — III. La Révolution, l’anarchie, tome 1er, 22e édition, in-16, Paris, Hachette, 1899.