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l’haleine grondante et brûlante, que ne jetterait-on pas ! Alternativement on y jette, tantôt un morceau de prêtre, tantôt un morceau de patron, et, quand l’on n’a plus autre chose, des boulettes de belles promesses, des pilules bien dorées de lois flatteuses et menteuses. La nation les avale, mais ne les digère pas ; il faut au gouvernement, à l’administration, beaucoup d’art pour masquer le malaise qu’elle éprouve, et pour empêcher qu’elle ne le manifeste. C’est qu’à la fin, on en a tant fait qu’on a négligé, froissé, heurté, trop d’élémens de la nation, et que par conséquent on s’est trop écarté, trop détourné de l’objet de tout gouvernement et de toute administration.

En échange, on n’a même pas assuré à la nation en son ensemble ce minimum d’existence : l’ordre. Je ne dis pas l’ordre matériel ; sauf de très rares interruptions et sur des points très rares, elle l’a eu, mais c’est à sa sagesse qu’elle le doit, ce n’est pas au soin de ceux qui en avaient charge ; c’est à sa « gouvernabilité, » ce n’est pas à son gouvernement. Quant à cet autre genre d’ordre, aussi nécessaire, et qui ne se maintient ni ne se rétablit par la police, mais qui est réellement la santé des peuples, cherchez-en trace dans le pêle-mêle, l’embrouillamini, le pataugeage universel. Depuis que, pour comble aux tristesses du Panama, on a pu voir, en ce pays, le gouvernement traîné par des ministres dans les bureaux de sociétés d’émission et chez des banquiers dont les convictions étaient prêtes à se monnayer en complaisances, des membres du cabinet appelés impérativement chez le juge d’instruction, des commissions de la Chambre menant des enquêtes judiciaires, le Palais-Bourbon devenu une succursale du Palais de Justice et le Palais de Justice devenu un petit Palais-Bourbon, il s’est fait partout une confusion qui devait nous conduire, à travers l’incohérence (où nous sommes et où nous restons), au gâchis d’où nous ne sortirons pas de sitôt.

Tout dans l’État a changé de place, ou plus exactement, rien n’y a de place et personne n’y est à sa place. Certains organes, ou racornis ou ramollis, tombent comme des tissus morts ; d’autres poussent, grandissent, enflent, qui recouvrent les premiers et qui les étouffent. Il y a rupture d’équilibre, d’abord, entre les fonctions de l’État, d’une part, et ses organes, de l’autre ; ensuite, entre ces fonctions, des unes aux autres, et ces organes, des uns aux autres ; là est la véritable cause, la cause profonde, de la désaffection générale pour le régime : dans le désaccord, obscuré-