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et ne marcherait pas sur Casablanca. Ce qu’on savait de son caractère devait détourner de cette supposition ; mais n’aurait-il pas la main forcée par les circonstances, et pouvait-il se soutenir sans exploiter, en la satisfaisant, la haine des Marocains contre l’étranger ? Situation délicate, à coup sûr, et embarrassante ; Moulaï-Hafid devait être le représentant du pire fanatisme, et il sentait en même temps l’obligation de nous ménager. Cette situation complexe devait donner à ses allures et à son langage un caractère équivoque : il était impossible de savoir en fin de compte qui il trompait, ou qui il tromperait définitivement, de ses nouveaux sujets ou de la France. Il aurait probablement voulu tout concilier, mais comment faire ? Nous ne pouvions donc pas hésiter entre lui et Abd-el-Aziz. Ce dernier avait été reconnu par les puissances ; toutes avaient négocié avec lui. La simple correction politique devait donc nous incliner de son côté. Nous n’aurions d’ailleurs pas pu faire autrement, à moins d’établir un accord préalable avec l’Europe, ou de nous exposer à y provoquer des divisions funestes. Mais il y a des manières très différentes de faire les mêmes choses, et l’empressement que nous avons mis à nous rendre à Rabat, conformément au désir exprimé par lui, prouve qu’au lieu de créer des embarras à Abd-el-Aziz, nous sommes prêts à les lui épargner ou à l’aider à en sortir, pourvu qu’il nous rende la pareille et se montre dorénavant aussi bien disposé pour nous qu’il l’a été mal dans le passé. Nous aurions pu, en somme, trouver quelque profit à ne pas nous engager aussi vite avec l’un des deux frères, au risque’ de provoquer contre nous le mécontentement et peut-être l’hostilité de l’autre. Nous ne l’avons pas fait, mais nous avons le droit d’attendre qu’on nous en sache gré. La première entrevue du Sultan et de M. Regnault a été toute protocolaire : elle sera suivie de négociations portant sur des faits précis. C’est de ces négociations que nous attendons des résultats.

Quant aux opérations militaires, il est difficile de savoir si elles sont terminées, mais elles sont suspendues et, jusqu’à nouvel ordre, le général Drude n’a plus d’ennemis devant lui. Qui sait toutefois si notre attitude à l’égard d’Abd-el-Aziz ne provoquera pas chez Moulaï-Hafid une irritation qui l’amènera à risquer quelque entreprise contre nous ? Il n’est pas probable qu’il le fasse ouvertement, mais il pourrait agir indirectement et sournoisement, ne fût-ce que pour nous faire sentir l’impuissance de son frère, impuissance qui n’est que trop réelle. Les deux sultans sont à même de faire du mal l’un et l’autre, et c’est contre quoi nous devons nous prémunir : il leur est plus