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de l’Himalaya, avait assujetti le Petit et le Moyen Thibet, dépassé les cimes lointaines du Karakorum et du Kouen-lun et poussé une pointe extrême à Chahidoulla, sur l’Yarkand, en plein Turkestan chinois. Enfin, le traité de Lhassa lui avait donné la prépondérance au Grand Thibet. A l’Ouest, elle avait détruit l’empire Sikh, annexé le Pendjab, franchi le moyen Indus, annexé l’Afghanistan anglais jusqu’aux monts Souleïman, soustrait le reste de l’Afghanistan à toute autre influence que la sienne. Elle avait atteint ainsi le cours du moyen et du haut Oxus, à un point où jamais maître de l’Inde n’avait pu parvenir et était devenue limitrophe des possessions russes. Tout le Béloutchistan lui était soumis.

Descendue du Caucase, la Russie s’était incorporé la Géorgie, avait soumis les Tcherkesses et autres peuplades mahométanes, conquis l’Arménie persane, pris Kars et Batoum et poussé jusqu’à l’Ararat et l’Araxe. Elle s’était ainsi créé une province de Transcaucasie, mais elle avait dû s’arrêter de ce côté à plus de 1 000 kilomètres de la frontière de l’Inde. Il est vrai qu’elle avait su, dans ces vingt dernières années, acquérir une influence considérable à la cour même de Téhéran. Elle avait fait prêter, par l’intermédiaire de la Banque russe des Prêts, établie à Téhéran, 22 millions de roubles à Mozaffer-ed-Dine, lors de son avènement, et avancer deux autres emprunts en 1901 et 1902. Cette banque lui assurait le monopole financier dans la Perse septentrionale. Enfin, un général russe était à la tête, à Téhéran même, d’une brigade cosaque, formée d’élémens indigènes instruits et élevés à la russe et qui constituait la meilleure garde du shah.

De l’autre côté de la Caspienne, les progrès des Russes avaient été plus marqués. Par bonds successifs, ils s’étaient portés au cours du XIXe siècle de l’Oural à la base des monts Thian-Chan et avaient atteint la frontière de Chine, occupant ainsi tout le bassin du Syr-Daria, la rive droite de l’Amou-Daria, et la rive gauche de ce fleuve jusqu’au cours de l’Attrek. C’est une surface plus grande que celle de la France. Mais, à part les hautes vallées situées à l’Orient, à la base des monts, comme celles de Ferganah et de Samarcande, et quelques oasis comme celles de Khiva et de Merv, la majeure partie n’était que steppes et déserts. Encore la Russie, s’étant laissé devancer par l’Angleterre sur le haut Oxus, n’avait-elle pu atteindre le pied de l’Hindou-Kouch, qui est la limite naturelle du Turkestan.