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que le même homme, qui, au has de son propre portrait, inscrivit les premières paroles d’un sermon de Savonarole, mourut en refusant de se confesser, ce qui était alors passablement audacieux. Je croirais volontiers qu’il fut toujours athée. Il peignit des scènes religieuses parce qu’un artiste ne représentait guère autre chose. Et, comme il ne savait ni animer une action ni reproduire le mouvement, il ne s’occupa que des physionomies, du coloris des vêtemens et des paysages. S’il avait eu une forte sensibilité, s’il avait perdu la foi dans une crise, nous trouverions, à un moment donné, une coupure, un changement. S’il avait été sincère avant, quelque chose le trahirait après. Or, c’est toujours la même froideur, la même expression extatique, moins pieuse que dévote. Ses personnages n’ont jamais vécu, jamais souffert ; leur physionomie impassible est éternellement indifférente ; ils semblent, suivant la remarque de Taine, retenus dans l’enfance par l’éducation du cloître. Ils ne se regardent jamais. Ils ont l’air étrangers à la scène à laquelle ils participent. La symétrie de leur attitude et du paysage augmente encore leur fadeur. Dans une Adoration des bergers il y a, comme encadrement, quatre piliers de bois surmontés d’une petite toiture triangulaire qui sont bien le décor le plus étrange qu’ait jamais imaginé un peintre. Prises en elles-mêmes, les figures sont belles, mais l’ensemble est toujours glacial et parfaitement ennuyeux.

En la portant au faîte de sa renommée, le Pérugin avait tué l’école de Pérouse. Les peintres locaux, — si nombreux à en juger par la quantité d’œuvres cataloguées sous la dénomination de « scuola del Perugino, » — se bornèrent à imiter celui qui s’était tant imité lui-même. Parmi eux peut-être, s’ils avaient pu échapper à cette influence déprimante, se seraient formés quelques grands artistes, comme ce Giannicola Manni, que l’on ne connaît pas assez, et dont certains personnages ont la plus exquise élégance. Heureux Pinturicchio qui fut appelé à Rome, plus heureux encore Raphaël qui alla respirer l’air libre de la Toscane ! Déjà, chez ce dernier, dans sa fresque de San Severo, passe un souffle plus vif. Le culte de la beauté est près de renaître sur la vieille terre païenne. Bien vite la sensualité percera sous la religion. Les Vierges ne seront plus que de jeunes femmes, dont la chair riche et souple aura cette carnosità plus proche de la volupté que de l’idéal chrétien. Raphaël à Pérouse, au retour de son premier voyage à Florence, n’est-il pas le symbole de ce