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notre famille désolée, de nos amis éperdus est gravé dans mon cœur aussi bien que dans mon esprit. Je vois encore maman étendue presque sans vie, et nous tous autour d’elle, tandis que les scrupuleux commissaires examinaient tes papiers, désespérés de n’en trouver aucun qui te compromît. Et je pourrais ne pas détester un gouvernement auteur de tant de crimes ! C’est alors que nous jurâmes, si le ciel délivrait la France du joug qui l’opprimait, de ne souffrir jamais à l’avenir une pareille tyrannie. » Une lettre, écrite par M. Clément de Ris vers la même époque, atteste que, chez les parens, le souvenir n’était pas moins vivace que chez les enfans : « Nous bénissons aujourd’hui la Providence, avec un redoublement de reconnaissance de ses bontés, de m’avoir arraché aux exécrables griffes des Terroristes qui m’ont arrêté il y a aujourd’hui trois ans. Je ne m’attendais pas alors qu’un jour, en confondant les victimes avec les bourreaux, on m’accuserait d’avoir été du parti de ces monstres. Telle est la justice des hommes. Les amis de la vertu seraient bien à plaindre, s’il n’y en avait pas une autre. » (11 février 1797.)

Les journées des 21 et 22 pluviôse an II (10 et 11 février 1794) furent employées par Toupiolle et ses acolytes à terminer l’enquête, à examiner et à rassembler les papiers, à préparer le départ des prisonniers, départ que ceux-ci hâtaient de tous leurs vœux. Plus on s’empresserait à comparaître devant le Comité de sûreté générale, moins on paraîtrait craindre son arrêt et suspecter sa justice. Il fut donc convenu que Clément et Texier partiraient au plus tôt avec leurs gardiens, Toupiolle et Martineau. Mme Clément, toujours vaillante, et moins que jamais disposée, en ce pressant péril, à abandonner son mari, les suivrait avec Clémentine, dès qu’elle aurait avisé, avec les amis de Tours et d’ailleurs, aux moyens d’agir dans l’intérêt des prévenus. Ceux-ci quittèrent Tours le 23 pluviôse (12 février). Ils arrivèrent à Blois le soir même et dînèrent chez le Représentant Garnier de Saintes. Toupiolle fut du dîner. Sa vanité y trouvait son compte, autant que son appétit : dix-huit mois plus tard il en parlait encore avec fierté. Lui, l’ancien valet, manger à la table des maîtres ! Lui, l’agent subalterne du Comité, convive d’un Représentant, commensal de deux Administrateurs régénérés de département ! Après le repas, Garnier dicta, en présence de Toupiolle qui devait la remettre, — marque de confiance propre à tuer eu lui ce qui pouvait subsister de préventions, —