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IV

M. Seillière[1]a jusqu’à présent laissé de côté cette forme de l’Impérialisme à laquelle nous venons de faire allusion et que nous appellerons l’impérialisme national. Pourtant, c’en est peut-être la forme principale. L’impérialisme de races, en effet, semble décidément une conception vague et fuyante, plutôt abstraite, qui n’a guère d’autre intérêt que d’aider un esprit fumeux à planer sur l’histoire. L’impérialisme individuel, dont l’étude est psychologiquement instructive, n’a pas non plus une existence concrète et définie (sauf dans le monde de la criminalité) : il est rare que des individus se sentent assez forts pour l’exercer, et les plus forts même ne l’exercent qu’avec la collaboration des collectivités dont ils font partie. Tel est le cas des héros, qui commencent par asservir, entraîner ou persuader les êtres inférieurs, dont le nombre et le dévouement assurent les réussites de leurs desseins ; tel est aussi celui des artistes, puisqu’une œuvre d’art ne prend son sens complet et n’accomplit toute sa destinée, que grâce à l’apport de tous ceux qui l’applaudissent, l’invectivent ou la discutent. Enfin, l’impérialisme national a sur l’impérialisme de classe ce singulier avantage, qu’il en gouverne, en dirige, et parfois en neutralise les effets : jusqu’à présent du moins, les aspirations des classes ont toujours fini par se résorber dans celles de la nation, chaque fois que celle-ci s’est trouvée en péril. Le fait se reproduira-t-il toujours ? Les théoriciens de l’internationalisme ne le croient pas, sans doute parce qu’ils savent que l’idée nationale, avec ses exigences, est le plus fort obstacle au triomphe de leurs doctrines ; mais quand on observe que les divers peuples occupent aujourd’hui, sur l’échelle de la civilisation, des degrés qui vont de la plus rudimentaire barbarie à l’humanisme le plus raffine, on est tenté de croire que nous sommes loin du temps, — s’il arrive, — où la similitude des besoins et la modération des appétits créeront la concorde.

Quoi qu’il en advienne dans les temps futurs, il faut

  1. Pendant que nous corrigions les épreuves de cet article, nous avons reçu, — trop tard pour en faire état, — le quatrième volume de l’ouvrage de M. Seillière, qui vient de paraître en traduction allemande : Die Romantische Krankeit, Fourier-Beyle (in-8, Berlin, 1907).