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Or cette œuvre que le Père Volpette a pu mener à bien, il n’en aurait pas eu l’idée si, un jour, dans un journal, il n’avait lu l’exposé d’une œuvre entreprise dans l’Est, à Sedan, par une femme. Cette femme, c’était Mme Félicie Hervieu, et cette œuvre n’était pas autre chose qu’une œuvre de jardins ouvriers. L’initiative, ici encore, venait d’une femme : l’œuvre de Mme Hervieu, en effet, est non seulement antérieure à toutes les œuvres analogues françaises, mais encore à toutes les œuvres analogues de l’étranger, et l’on peut assurer qu’elle a été le modèle sur lequel toutes les autres se sont constituées.

J’ai rendu visite, il y a déjà longtemps, — c’était en 1898, si je me souviens bien, — à Mme Hervieu.

Elle habitait alors en plein quartier manufacturier de Sedan, où elle dirigeait avec ses fils une importante fabrique de draps. Je trouvai une femme déjà âgée, de petite taille, dont le visage était à la fois très doux et très volontaire, et qui me fit le meilleur accueil, me racontant elle-même et comment elle avait songé à créer ces jardins, et comment elle les avait créés, et quels résultats elle obtenait. Il n’y avait pas chez elle cet enthousiasme expansif que l’on rencontre si souvent, — et qui s’explique, — chez les fondateurs d’œuvres, mais une simplicité, un naturel, un calme qui touchaient plus vivement. On sentait que l’intelligence, aussi bien que le cœur, lavait guidée.

— Je secourais depuis longtemps, — me dit-elle, — une famille de dix personnes, et cette famille, malgré mes dons, restait toujours aussi misérable. Je leur annonçai un jour qu’au lieu d’aumône je m’engageais à verser à leur nom chaque mois six francs à la Caisse d’épargne, si eux de leur côté versaient régulièrement trois francs. Ils ne consentirent pas tout de suite ; cela leur semblait dur et changeait leurs habitudes ; puis comme je ne voulais rien entendre de leurs objections, ils finirent par m’apporter leurs trois francs, et au bout de l’année ils possédaient cent huit francs. Je leur proposai alors de louer un jardin, de le cultiver, et de manger les légumes qu’il produirait. Nouvelle résistance du côté de mes protégés, nouvel entêtement de ma part, et finalement j’eus raison de leur refus. Le champ fut loué : tout d’abord on le travailla sans entrain, puis avec plaisir, puis avec ardeur, et les légumes, non seulement nourrirent la famille, mais lui procurèrent même, par la vente, un léger bénéfice.