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vainement on y chercherait l’ombre d’une « thèse, » ou même d’une signification un peu générale. Ce sont simplement des histoires, des suites d’aventures inventées pour le divertissement de l’auteur et le nôtre. Il n’y a pas jusqu’à la nouveauté qui, le plus souvent, ne leur fasse défaut. Comment, par exemple, ne pas songer aux deux mariages de David Copperfield, devant les deux mariages de Joseph Vance ? et au dévouement timide et passionné de la petite Dorrit devant le muet amour d’Alice pour le peintre qui l’a recueillie ? Comment ne pas voir transparaître, sous la figure du jeune Joseph, celle du jeune Pip, telle que nous l’ont révélée les Grandes Espérances ? Et j’ai dit déjà que Dickens était loin d’avoir exercé l’influence la plus forte sur la formation littéraire de M. de Morgan.

La vérité est que les romans de celui-ci ne rachètent leurs nombreux défauts de composition et d’exécution ni par l’originalité des aventures qu’ils nous racontent, ni par leur portée psychologique ou morale, ni, tout compte fait, par aucun mérite qu’il me soit possible de définir bien précisément. Et cependant, avec tout cela, je défie qu’on les lise sans éprouver une impression de tendre douceur, de grâce vivante, et de jeune gaîté. Un charme s’en dégage que nous nous reprochons presque d’avoir à subir, mais qui nous saisit le cœur invinciblement, tout à fait comme celui qui ressort, dans les romans de Dickens, des combinaisons parfois les plus invraisemblables ou les plus banales ; et certes je n’ai rien rencontré, parmi la foule des romans anglais que je viens de lire, qui m’ait procuré autant de bien-être, ou qui m’ait paru d’une qualité littéraire à la fois aussi précieuse et aussi personnelle, que ces deux romans mal composés, interminables, remplis d’aventures extravagantes, semés d’à peu près et de calembours.

C’est que M. de Morgan, sous la grande abondance de ses défauts naturels ou acquis, possède l’art mystérieux de prêter la vie à ses inventions. Ses personnages ont beau nous être connus d’avance, et les situations où il nous les montre ; c’est assez qu’il s’empare de ces personnages et de ces situations pour les évoquer à nos yeux avec une réalité si directe et si proche, avec une telle chaleur de réalité, que force nous est aussitôt de les tenir pour vrais, ainsi que nous sentons qu’il les tient lui-même, et de partager le plaisir ou la tristesse qu’ils engendrent en lui. Peut-être, toutefois, le second de ses romans est-il d’une