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accomplie. Après plusieurs années d’une production admirablement abondante et vivace, c’est comme si le ressort de son imagination s’était, brusquement et irrémédiablement, détendu. Déjà le dernier grand roman qu’il a publié, Kim, — peut-être se souvient-on que je l’ai signalé ici[1], il y a quelques années ? — dénotait une certaine fatigue de l’invention créatrice, incomplètement dissimulée sous l’immense effort des peintures exotiques et des artifices du style. Mais celle lassitude s’est révélée bien plus encore dans une façon de recueil de contes pour les enfans, qui est le seul ouvrage un peu considérable produit par M. Kipling depuis l’insuccès relatif de son Kim. Le recueil s’appelle Puck du Mont Pook[2]. D’une montagne ainsi nommée, deux enfans voient sortir un petit gnome qui leur révèle qu’il est le Puck du Songe d’une nuit d’été, et qui, tour à tour, ressuscite devant eux des scènes de la légende ou de l’ancienne histoire nationales, depuis l’aventure célèbre du Forgeron Wieland jusqu’aux démêlés du roi Jean avec les Juifs du royaume. Toutes ces scènes, on l’entend bien, ont pour objet d’éveiller chez les jeunes compagnons de Puck les sentimens « impérialistes » chers à M. Kipling, et notamment de leur inspirer le respect de la force, l’amour du combat, l’orgueil du noble sang qui coule dans leurs veines Et il va sans dire aussi que, à chaque page, l’enseignement moral s’accompagne d’ingénieuses trouvailles de mots ou d’images, nous rappelant ces étonnantes qualités de richesse et d’originalité verbales qui, jadis, ont le plus activement contribué à la gloire soudaine de Fauteur du Livre de la Jungle et des Contes des Montagnes. Hélas ! ni la drôlerie piquante de maints tours de phrase, ni la portée patriotique des évocations de Puck, n’ont suffi, cette fois, à divertir le public anglais ! Les enfans se sont trouvés d’accord avec leurs parens pour bâiller au récit des exploits du fabuleux forgeron ; et il n’y a pas jusqu’aux prouesses des Chevaliers de la Joyeuse Aventure qui n’aient échoué à les dérider. Le fait est qu’un froid glacial se dégage de ce Puck du Mont Pook, et sans que l’on puisse expliquer bien au juste ce qui le produit, tandis que le même ton de narration, et des procédés d’humour tout semblables, avaient ravi les lecteurs des premiers recueils de M. Kipling. Se serait-on trompé sur l’auteur de ces

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1901. »
  2. Puck of Pook’s Hill, par Rudyard Kipling, 1 vol. illustré, Londres, Macmillan, 1906.