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nouveau roi, c’est l’éclat même de sa récompense : le siège primatial de Canterbury. Comme More a écrit, en quelque sorte, sous la dictée de Morton et que les chroniqueurs venus plus tard, notamment Hall et Holinshed, ont copié le récit de More, il est clair que c’est par les yeux du cardinal que les générations suivantes ont vu Richard III et que nous le voyons encore nous-mêmes. Il est donc fort nécessaire que nous sachions à quoi nous en tenir sur le degré de créance qu’il mérite. Etant donné les idées et les mœurs de cette horrible fin du XVe siècle, il ne semble pas que le cardinal Morton ait été un mauvais prêtre ni un malhonnête homme et, sans s’associer à la tendre admiration de son protégé et disciple favori, on peut admettre qu’il disait la vérité lorsqu’il racontait ce qu’il avait fait ou ce qu’il avait vu. Prenez pour exemple la séance du conseil à laquelle je viens de faire allusion. Shakspeare n’a eu qu’à la transcrire pour en faire une des scènes les plus émouvantes de son drame. Richard arrive, souriant, épanoui, débordant de bonhomie et de génialité, dans cette belle humeur matinale où l’on semble l’ami du genre humain. « Monseigneur d’Ely, en passant dans Holborn, j’ai remarqué que vous aviez des fraises admirables dans votre jardin. Vous plairait-il d’en envoyer quérir une assiettée, pour que nous nous en régalions ? » Pendant qu’on va cueillir les fraises, une lettre est remise au prince. Il y trouve ou, plutôt, feint d’y trouver la preuve d’un complot formé contre sa vie et, saisi d’une fureur soudaine, marche sur Hastings comme s’il voulait le tuer devant ses collègues, à la table même du conseil. Cette terrible colère est jouée et le naïf désir de manger des fraises n’était, probablement, pas plus sincère. Commediante ! Tragediante ! Les deux mots qu’Alfred de Vigny prête au pape Pie VII, et qui sont sa seule réponse aux cajoleries comme aux menaces de Napoléon, à Fontainebleau, ces deux mots reviennent en l’esprit lorsqu’on lit cette scène dont les violens contrastes devaient tenter Shakspeare. On sent qu’elle est vraie, car le détail caractéristique des fraises est un de ces traits qu’on n’invente pas.

Donc, Morton n’est pas un menteur, mais toutes les fois qu’il se trouve en présence d’un fait obscur ou rapporté par d’autres, il adopte invariablement la version la plus défavorable à Richard. Or, c’est son témoignage, transmis à la postérité par Thomas More, qui va, en l’absence de tout débat contradictoire,