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savait que, une fois ce crime prouvé, on croirait, sans demander de preuves, à tous les autres. C’est, en effet, ce qui arriva. Richard III, transformé en bouc émissaire, absorba tout l’odieux de son époque et apparut chargé de tous les actes sanguinaires dont sa génération s’était rendue coupable : si méchant que tous semblaient bons auprès de lui, si noir qu’il blanchissait ses contemporains par le contraste. Tel le trouva Shakspeare, tel il l’accepta sans une minute d’hésitation. Homme du peuple en même temps qu’homme de génie, — son œuvre nous le rappelle à chaque ligne, — il devait s’assimiler, dès qu’il le rencontre sur son chemin, ce produit de l’imagination populaire et, auteur favori de la dernière des Tudors, il était porté à flatter leur orgueil en peignant à la fois plus haïssable et plus grand que nature le puissant ennemi dont ils avaient triomphé.


II

C’est en 1597 que fut publiée, pour la première fois, cette tragédie de Richard III, dont le titre fut plusieurs fois modifié. Évidemment, elle avait été représentée avant cette date. Elle appartient donc à la première période de la carrière dramatique de Shakspeare et, même si nous n’étions pas averti par l’époque de la publication, nous n’aurions pas grand’peine à nous apercevoir que l’auteur est encore l’élève de Lyly et l’imitateur de Marlowe, bien qu’on commence à le regarder lui-même comme un maître. Les coups de théâtre, les brusques reviremens de passion, les batailles, les complots, les meurtres qui se succèdent sans interruption : voilà la part de Marlowe. Je reconnais l’influence de Lyly dans ces jeux de mots, dans ces croisemens d’antithèses qui nous gâtent les situations tragiques et qui, au contraire, ajoutaient à l’émotion des spectateurs du Globe. Il leur semblait tout naturel qu’une mère venant, comme la reine Élisabeth, demander compte à un meurtrier de la vie de ses enfans, fît des calembours[1]. L’euphuïsme s’était tellement imposé, comme langue littéraire, aux écrivains de l’époque, qu’il faut dix ou douze ans à Shakspeare pour oser s’en affranchir et parler un autre langage. Cependant, lorsqu’il écrivait Richard III, il était déjà en possession de son génie, de son

  1. Cousins, indeed ; and by their uncle cozen’d… (Act IV, scène IV).