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rieures. Voilà des circonstances où l’amour-propre joue véritablement un rôle de la plus grande importance, et ce rôle s’oppose complètement à l’adoption d’une langue artificielle, car le docteur Zamenhof et tous les espérantistes avec lui professent à l’égard de l’Universal, récemment créé par M. Molenaar, la même animosité et le même dédain que je professe moi-même à l’égard de l’espéranto. On voit donc que les amours-propres nationaux n’empêchent pas le jeu des facteurs naturels qui poussent certaines langues à devenir internationales et, d’autre part, que les langues artificielles déchaînent les amours-propres individuels, cent fois plus vivaces que les amours-propres collectifs.

Arrivons maintenant à un autre avantage qu’on attribue aux langues artificielles : leur prétendue facilité. Elle est absolument imaginaire.

Pour ce qui est des langues complètement artificielles, il saute aux yeux qu’elles ne sont en rien plus faciles que les langues vivantes. Si un Russe, ignorant tout autre parler que le sien, est habitué à appeler l’eau vada, il aura autant de peine à apprendre le mot sidi, dans un idiome artificiel, que acqua, en italien, ou water, en anglais. Une langue complètement artificielle peut avoir une grammaire et une syntaxe très simples, mais cela ne compense pas la nécessité d’apprendre un vocabulaire entièrement nouveau et une série de flexions inconnues.

Quant aux systèmes mixtes, loin d’être plus faciles que les langues vivantes, ils sont plus difficiles. Le système mixte devient aisé quand on connaît toutes les langues dont il tire ses élémens. Ainsi, pour que l’espéranto soit facile, il faut savoir le français, l’anglais, l’allemand, le russe, le latin et le grec. Excusez du peu ! On prétend vous faciliter le déplacement d’un kilogramme : on vous oblige, au préalable, à en déplacer six ! Cela seul montre que les langues artificielles vont contre les lois de la nature. Le mouvement suit la ligne de la moindre résistance, et l’on veut que l’esprit humain, dans la question de la langue internationale, fasse juste le contraire, qu’il suive la ligne de la plus forte résistance. Un homme, pour connaître une langue auxiliaire, devra d’abord apprendre six langues nationales ! Ainsi l’espéranto emploie le vocable vost pour dire queue. C’est très facile pour qui connaît le mot analogue, en russe, qui est khvost. De même, on comprend aisément