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interminables, fut en effet des plus chrétiennes. Klaczko, qui, par la pratique sincère de sa religion, avait appris à mépriser la vie, prononçait sans effroi le nom austère et redoutable de la mort. De longues et cruelles épreuves l’avaient habitué à cette pensée, et il la voyait lentement s’approcher de lui, non comme une ennemie implacable, mais plutôt comme une amie. Derrière les ténèbres qui s’élèvent au moment où nos faibles jours déclinent, il entrevoyait une lumière plus pure, une vie nouvelle, une vie heureuse et sans fin. Et cet homme, que la maladie avait pour ainsi dire broyé, croyait que de la mort il sortirait plus robuste et plus vivant qu’il ne l’avait jamais été. De son poète favori, Adam Miçkiewicz, il répétait souvent les vers consolans du chœur des Anges : « Il dort… Dégageons son âme de son corps comme on enlève de ses langes dorés un enfant endormi. Dépouillons-la doucement de l’enveloppe des sens pour la revêtir de lumière blanche comme l’aube du jour !… Nous le conduirons par la main dans les régions de l’éternelle splendeur et nous lui chanterons une chanson telle que les enfans de la terre en entendent rarement dans leurs songes… Nous lui dirons son bonheur à venir et nous le porterons dans nos bras jusque dans les Cieux[1] ! » Ce n’était pas là un doux rêve, c’était une croyance inébranlable ; car Julian Klaczko était de ceux dont le même Miçkiewicz a dit : « Ceux qui ont élevé leur esprit au-dessus du temps et de l’espace, peuvent, à chaque instant, avoir le sentiment de l’éternité. »

Quoique meurtri par la souffrance, il ne sortait pas dégradé des mains de la Mort, et son visage pâle portait l’empreinte d’une sérénité auguste. C’est ainsi qu’après une tempête la nature, un moment bouleversée par des souffles impétueux, retrouve un calme et une paix que l’on croyait à jamais disparus. De même, après les grands frissons de l’agonie, le corps reprend souvent, avant la dissolution fatale, une majesté et une harmonie qui surprennent et imposent un religieux respect. Il est vrai que, pour résister aux injures de la mort, rien ne vaut la noblesse d’une vie tout entière consacrée au droit et au bien. Que de fois, pensant à sa fin, Klaczko avait répété en s’y préparant, comme Montaigne : « C’est le maître jour, c’est le jour juge de tous les autres, c’est le Jour ! »

  1. Les Aïeux, — IIe partie, Les Martyrs.