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la correspondance de l’Électeur Charles-Louis, père de Madame, avec sa sœur Sophie, duchesse de Hanovre, changer de ton sous l’empire de l’inquiétude et des soucis. Plutôt futile dans les premières années, ou restreinte aux événemens de famille, elle prend du sérieux, et parfois de l’ampleur, quand éclate la nouvelle crise qui met en question l’intégrité de l’Allemagne. Les lettres de Charles-Louis, en particulier, disent éloquemment la misère morale de la patrie germanique, son abaissement et ses dangers, alors qu’un Louis XIV ne s’y heurtait pas à un sentiment national fort et discipliné.

Madame, dans son palais de Saint-Cloud, ou dans sa chambre de Saint-Germain, chez le Roi, recevait les contre-coups des agitations paternelles. On lui reprochait à Heidelberg, et aussi à Osnabruck, de ne pas prendre assez à cœur les difficultés de son pays d’origine, de ne jamais lui venir en aide, et d’oublier dans les plaisirs les souffrances du Palatinat. On lui en voulait peut-être plus encore de ne pas faire profiter ceux des siens qui étaient pauvres des richesses qu’on lui supposait. Pour ces diverses raisons, l’Electeur palatin, mécontent de sa fille Liselotte, et ne lui en faisant point mystère, représentait dans sa vie l’élément maussade et grondeur, tandis que la joie l’attendait dans nos forêts des environs de Paris, à galoper, vive et légère, aux côtés d’un grand roi qui ne pouvait plus se passer d’elle. L’Allemagne, c’était les demandes importunes et les reproches, la France, la faveur et les éclats de rire. De sorte que, tout en adorant sa patrie avec orgueil, Madame ne pouvait pas s’empêcher d’être heureuse chez ce peuple inférieur qu’une bonne Allemande a en mépris et en haine. La preuve s’en trouve dans de nombreux documens qui ne sauraient être récusés par ses compatriotes, car la plupart nous viennent d’outre-Rhin, ou sont des pièces officielles conservées dans nos Archives nationales.

Voyons d’abord s’il était vrai que Madame fût dans « la misère, » ainsi qu’elle se plaisait à le répéter.


I

Nous nous bornerons ici à étudier le budget de la princesse Liselotte avant son veuvage en 1701. Après, tout sera changé, les besoins et les arrangemens d’argent. — Au commencement de leur mariage, Monsieur et Madame disposaient chaque année,